Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/132

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Vous trouvez donc que vos comédiens ont bien de l’esprit de dire des vers de Corneille. En vérité, il y en a de bien transportants ; j’en ai apporté ici un tome qui m’amusa fort hier au soir. Mais n’avez-vous point trouvé jolies les cinq ou six fables de la Fontaine, qui sont dans un des tomes que je vous ai envoyés ? Nous en étions ravis l’autre jour chez M. de la Rochefoucauld ; nous apprîmes par cœur celle du Singe et du Chat.

D’animaux malfaisants c’était un très-bon plat.
Ils n’y craignaient tous deux aucun, tel qu’il pût être.
Trouvait-on quelque chose au logis de gâté,
L’on ne s’en prenait point aux gens du voisinage
Bertrand dérobait tout ; Raton, de son côté,
Était moins attentif aux souris qu’au fromage.

Et le reste. Cela est peint ; et la Citrouille, et le Rossignol, cela est digne du premier tome. Je suis bien folle de vous écrire de telles bagatelles, c’est le loisir de Livry qui vous tue. Vous avez écrit un billet admirable à Brancas ; il vous écrivit l’autre jour une main tout entière de papier : c’était une rapsodie assez bonne ; il nous la lut à madame de Coulanges et à moi. Je lui dis : Envoyezla moi donc tout achevée pour mercredi. Il me dit qu’il n’en ferait rien, qu’il ne voulait pas que vous la vissiez ; que cela était trop sot et trop misérable. — Pour qui nous prenez- vous ? vous nous l’avez bien lue. — Tant y a que je ne veux pas qu’elle la lise. Voilà toute la raison que j’en ai eue ; jamais il ne fut si fou. Il sollicita l’autre jour un procès à la seconde des enquêtes ; c’était à la première qu’on le jugeait : cette fo^ie a fort réjoui les sénateurs ; je crois qu’elle lui a fait gagner son procès. Que dites-vous, mon enfant, de l’infinité de cette lettre ? Si je voulais, j’écrirais jusqu’à demain. Conservez- vous, c’est ma ritournelle continuelle ; ne tombez point, gardez quelquefois le lit. Depuis que j’ai donné à ma petite une nourrice comme celle du temps de François I er, je crois que vous devez honorer tous mes conseils. Pensez-vous que je n’aille point vous voir cette année ? J’avais rangé tout cela d’une autre façon, et même pour l’amour de vous ; mais votre litière me dérange tout : le moyen de ne pas courir cette année, si vous le souhaitez un peu ? Hélas ! c’est bien moi qui dois dire qu’il n’y a plus de pays fixe pour moi, que celui où vous êtes. Votre portrait triomphe sur ma cheminée ; vous êtes adorée maintenant en Provence, et à Paris, et à la cour, et à Livry ; enfin, ma fille, il faut