Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/135

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seyez-vous donc ; ne voulez-vous pas souper ? Il se tenait toujours debout. Madame de Coulanges lui dit : Asseyez^vous donc. Parbleu, dit-il, madame de Sanzei se fait bien attendre ; je crois qu’on ne lui a pas dit qu’on a servi. C’était elle qu’il attendait, et il y a environ cinq semaines qu’elle est à Autry : cette civilité, faite fort naïvement, nous fit rire,


50. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN,

Aux Rochers, dimanche 81 mai 1671.

Enfin, ma fille, me voici dans ces pauvres rochers : peut-on revoir ces allées, ces devises, ce petit cabinet, ces livres, cette chambre, sans mourir de tristesse ? Il y a des souvenirs agréables, mais il y en a de si vifs et de si tendres, qu’on a peine à les supporter ; ceux que j’ai de vous sont de ce nombre. Ne comprenezvous point bien l’effet que cela peut faire dans un cœur comme le mien ?

Si vous continuez de vous bien porter, ma chère enfant, je ne vous irai voir que l’année qui vient. La Bretagne et la Provence ne sont pas compatibles ; c’est une chose étrange que les grands voyages : si l’on était toujours dans le sentiment qu’on a quand on arrive, on ne sortirait jamais du lieu où l’on est ; mais la Providence fait qu’on oublie ; c’est la même qui sert aux femmes qui sont accouchées : Dieu permet cet oubli, afin que le monde ne finisse pas, et que l’on fasse des voyages en Provence. Celui que j’y ferai me donnera la plus grande joie que je puisse recevoir dans ma vie : mais quelles pensées tristes, de ne point voir de fin à votre séjour ! J’admire et je loue de plus en plus votre sagesse ; quoiqu’à vous dire le vrai Je sois fortement touchée de cette impossibilité, j’espère qu’en ce temps-là nous verrons les choses d’une autre manière ; il faut bien l’espérer, car, sans cette consolation, il n’y aurait qu’à mourir. J’ai quelquefois des rêveries dans ces bois, d’une telle noirceur, que j’en reviens plus changée que d’un accès de fièvre. Il me paraît que vous ne vous êtes point trop ennuyée à Marseille. Ne manquez pas de me mander comme vous aurez été reçue à Grignan. Ils avaient fait ici une manière d’entrée à mon fils ;.Vaillant avait mis plus de quinze cents hommes sous les armes, tous fort bien habillés, un ruban neuf à la cravate ; ils vont en très-bon ordre nous attendre à une lieue des Rochers. Voici un bel incident : M. l’abbé avait mandé que nous arriverions le mar-