Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/143

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fiter de toutes celles que nous avons faites, il en a pour longtemps, et sur toutes sortes de chapitres, et d’une manière si peu ennuyeuse, qu’il ne devrait pas les oublier. Je suis aise que vous ayez cet automne une couple de beaux-frères ; je trouve que votre journée est fort bien réglée : on va loin sans mourir d’ennui, pourvu qu’on se donne des occupations, et qu’on ne perde point courage. Le beau temps a remis tous mes ouvriers en campagne, cela me divertit : quand j’ai du monde, je travaille à ce beau parement d’autel que vous m’avez vu traîner à Paris ; quand je suis seule, je lis, j’écris ; je suis en affaires dans le cabinet de notre abbé ; je vous le souhaite quelquefois pour deux ou trois jours seulement.

Je consens au commerce de bel esprit que vous me proposez. Je fis l’autre jour une maxime tout de suite sans y penser, et je la trouvai si bonne, que je crus l’avoir retenue par cœur de celles de M. de la Rochefoucauld : je vous prie de me le dire ; en ce cas, il faudraitlouer ma mémoire plusque mon jugement. Je disais, comme si je n’eusse rien dit, que V ingratitude attire les reproches, comme la reconnaissance attire de nouveaux bienfaits. Ditesmoi donc ce que c’est que cela ? l’ai-je lu ? l’ai-je rêvé ? l’ai-je imaginé ? Rien n’est plus vrai que la chose, et rien n’est plus vrai aussi que je ne sais où je l’ai prise, et que je l’ai trouvée toute rangée dans ma tête, et au bout de ma langue. Pour la sentence de Bella cosa, farniente, vous ne la trouverez plus si fade, quand vous saurez qu’elle est dite pour votre frère ; songez à sa déroute de cet hiver. Adieu, ma très-aimable enfant ; conservez-vous, soyez belle, habillez- vous, amusez-vous, promenez-vous. Je viens d’écrire à Vivonne[1] pour un capitaine bohème, afin qu’il lui relâche un peu ses fers, pourvu que cela ne soit point contre le service du roi. Il v avait parmi nos Bohèmes, dont je vous parlais l’autre jour, une jeune fille qui danse très-bien, et qui me fit extrêmement souvenir de votre danse : je la pris en amitié ; elle me pria d’écrire en Provence pour son grand-père, qui est à Marseille. Et où est-il, votre grand-père ? Il est à Marseille ; d’un ton doux, comme si elle disait, il est à Vincennes. C’était un capitaine bohème d’un mérite singulier[2] ; de sorte que je lui promis d’écrire, et je me suis avisée tout d’un coup d’écrire à Vivonne : voilà ma lettre ; si vous n’êtes pas en état que je puisse rire avec lui, vous la brûle

  1. M. de Vivonne était général des galères.
  2. 1l était alors forçat des galères.