Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/144

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rez ; si vous la trouvez mauvaise, vous la brûlerez encore ; si vous êtes assez bien avec ce gros crevé, et que ma lettre vous en épargne une autre, vous la ferez cacheter, et vous la lui ferez tenir. Je n’ai pu refuser cette prière au ton de la petite fille, et au menuet le mieux dansé que j’aie vu depuis ceux de mademoiselle de Sévigné ; c’est votre même air ; elle est de votre taille, elle a de belles dents et de beaux yeux. Voici une lettre d’une telle longueur, que je vous pardonne de ne la point achever : je le comprendrai plus aisément que de demeurer au septième tome de Cassandre et de Clêopâtre. Je vous embrasse très-tendrement. M. de Grignan est bien loin de se figurer qu’on puisse lire des lettres de cette longueur ; mais, tout de bon, les lisez-vous en un jour ?


54. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 1 er juillet 1671.

Voilà donc le mois de juin passé ; j’en suis tout étonnée, je ne pensais pas qu’il dût jamais finir. Ne vous souvient-il pas d’un certain mois de septembre que vous trouviez qui ne prenait point le chemin de faire jamais place au mois d’octobre ? Celui-ci prenait le même train ; mais je vois bien maintenant que tout finit : m’en voilà persuadée.

C’est une aimable demeure que Fouesnel ; nous y fûmes hier, mon fils et moi, dans une calèche à six chevaux ; il n’y a rien de plus joli, il semble qu’on vole : nous fîmes des chansons que nous vous envoyons ; le cas que nous faisons de votre prose ne nous empêche point de vous faire part de nos vers. Madame de la Fayette est bien contente de la lettre que vous lui avez écrite. Voilà qui est fait, ma fille, votre frère nous va quitter. Nous allons nous jeter, la Mousse et moi, dans de bonnes lectures. Le Tasse nous amuse fort, et toutes les bagatelles du monde nous ont divertis jusqu’ici, à cause de mon fils, qui en est le roi. Je m’en vais faire de grandes promenades toute seule tête à tête, comme disait Tonquedec[1]. Croyez-vous que je pense à vous ? J’ai aussi mon petit ami que j’aime tendrement : la plus aimable chose du monde est un portrait bien fait ; quoi que vous puissiez dire, celui-là ne vous fait point de tort. Vos lettres de Grignan m’ont nourrie et consolée de mes chagrins passés ; j’en attends toujours avec impatience ; mais, de bonne foi, j’en écris souvent d’une longueur trop excessive ; je

  1. René de Quengo, seigneur de Tonquedec, ami du marquis de Sévigné.