Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/145

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veux que celle-ci soit raisonnable ; il n’est pas juste de juger de vous par moi : cette mesure est téméraire ; vous avez moins de loisir que moi.

Voilà mademoiselle du Plessis qui entre ; elle me plante ce baiser que vous connaissez, et me presse de lui montrer l’endroit de vos lettres où vous parlez d’elle. Mon fils a eu l’insolence de lui dire devant moi que vous vous souveniez d’elle fort agréablement, et me dit ensuite : Montrez-lui l’endroit, madame, afin qu’elle n’en doute pas. Me voilà rouge comme vous, quand vous pensez aux péchés des autres ; je suis contrainte de mentir mille fois, et de dire que j’ai brûlé votre lettre. Voilà les malices de ce guidon[1]. En récompense je l’assurai l’autre jour que si vous répondiez au-dessus de la reine d’Aragon, vous ne mettriez pas à Guidon le Sauvage. J’ai reçu une lettre de Guitant fort douce et fort honnête : il me mande qu’il a trouvé en moi depuis quelque temps mille bonnes choses, à quoi il n’avait pas pensé ; et moi, de peur de lui répondre sottement que je crains bien de détruire son opinion, je lui dis que j’espère qu’il m’aimera encore davantage, quand il me connaîtra mieux ; je réponds toutes les extravagances qui se présentent à moi, plutôt que ces selles à tous chevaux dont nous avons tant ri ici. Je suis persuadée que vous vo’us aiderez fort bien de madame de Simiane : il faut ôter l’air et le ton de compagnie le plus tôt que l’on peut, et faire entrer les gens dans nos plaisirs et dans nos fantaisies ; sans cela il faut mourir, et c’est mourir d’une vilaine épée. Je l’ai juré, ma fille, je vais finir ; je. me fais une extrême violence pour vous quitter ; notre commerce fait l’unique plaisir de ma vie ; je suis persuadée que vous le croyez. Je vous embrasse, ma chère petite, et je baise vos belles joues.


55. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GMGNAN.

Aux Rochers, dimanche 5 juillet 1671.

C’est bien une marque de votre amitié, ma chère enfant, que d’aimer toutes les bagatelles que je vous mande d’ici : vous prenez fort bien l’intérêt de mademoiselle de Croqueoison ; en récompense, il n’y a pas un mot dans vos lettres qui ne me soit cher : je n’ose les lire, de peur de les avoir lues ; et si je n’avais la consolation de les recommencer plusieurs fois, je les ferais durer plus longtemps ;

  1. M. de Sévigoé était guidon des gendarmes Dauphin.