Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/147

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et de ne point partir qu’elie ne m’ait vue. Voilà ce qu’on ne peut éviter, à moins que de se résoudre à renoncer à eux pour jamais. Il est vrai que, pour n’être point accablée ici, je puis m’en aller à Vitré ; mais je ne suis point contente de passer un mois dans un tel tracas ; quand je suis hors de Paris, je ne veux que la campagne.


56. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 12 juillet 167f.

Je n’ai reçu qu’une lettre de vous, ma chère fille, j’en suis un peu fâchée ; j’étais dans l’habitude d’en avoir deux : il est dangereux de s’accoutumer à des soins tendres et précieux comme les vôtres ; il n’est pas facile après cela de s’en passer. Si vous avez vos beaux-frères ce mois de septembre, ce vous sera une très-bonne compagnie. Le coadjuteur a été un peu malade, mais il est entièrement guéri : sa paresse est une chose incroyable, et son tort est d’autant plus grand qu’il écrit très -bien quand il s’en veut mêler. Il vous aime toujours, et ira vous voir après la mi-août ; il ne le peut qu’en ce temps-là. Il jure (mais je crois qu’il ment) qu’il n’a aucune branche où se reposer, et que cela l’empêche d’écrire et lui fait mal aux yeux. Voilà tout ce que je sais de seignein Corbeau : mais admirez la bizarrerie de mon savoir ; en vous- apprenant toutes ces choses, j’ignore comme je suis avec lui : si par hasard vous en savez quelque chose, vous m’obligerez fort de me le mander. Je songe mille fois le jour au temps où je vous voyais à toute heure. Hélas ! ma fille, c’est bien moi qui dis cette chanson que vous me rappelez : Hélas ! quand reviendra-td ce temps, bergère ? Je le regrette tous les jours de ma vie, et j’en souhaiterais un pareil au prix de mon sang : ce n’est pas que j’aie sur le cœur de n’avoir pas senti le plaisir d’être avec vous ; je vous jure et vous proteste que je ne vous ai jamais regardée avec indifférence, ni avec la langueur que donne quelquefois l’habitude : mes yeux ni mon cœur ne se sont jamais accoutumés à cette vue, et jamais je ne vous ai regardée sans joie et sans tendresse ; s’il y a eu quelques moments où elle n’ait pas paru, c’est alors que je la sentais plus vivement ; ce n’est donc point cela que je puis me reprocher : mais je regrette de ne vous avoir pas assez vue, et d’avoir eu dans certains moments de cruelles politiques qui m’ont ôté ce plaisir. Ce serait une belle chose, si je remplissais mes lettres de ce qui me remplit le cœur. Ah ! comme vous dites, il faut glisser sur bien des pensées et ne