Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/161

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je doute qu’elles m’entraînent aussi ; quelque faiblesse que j’aie pour les modes, j’ai une grande aversion pour cette saleté. Il y aurait de quoi en faire une belle provision à Vitré ; je n’ai jamais vu une si grande chère ; nulle table à la cour ne peut être comparée à la moindre des douze ou quinze qui y sont ; aussi est-ce pour nourrir trois cents personnes qui n’ont que cette ressource pour manger. Je partis lundi de cette bonne ville, après avoir fait vos compliments à madame de Chaulnes et à mademoiselle de Marinais, qui a quelque chose dans l’esprit et dans l’humeur qui vous serait très-agréable ; on ne peut jamais ni mieux les recevoir ni mieux les rendre. Toute la Bretagne était ivre ce jour-là ; nous avions dîné à part. Quarante gentilshommes avaient dîné en bas, et avaient bu chacun quarante santés : celle du roi avait été la première, et tous les verres cassés après l’a voir bue ; le prétexte était une joie et une reconnaissance extrême de cent mille écus que le roi a donnés à la province sur le présent qu’on lui a fait, voulant récompenser, par cet effet de sa libéralité, la bonne grâce qu’on a eue à lui obéir. Ce n’est donc plus que deux millions deux cent mille livres, au lieu de cinq cents. Le roi a écrit de sa propre main des bontés infinies pour sa bonne province de Bretagne : le gouverneur a lu la lettre aux états, et la copie en a été enregistrée : il s’est élevé jusqu’au ciel un cri de vive le roi ! et tout de suite on s’est mis à boire, mais boire, Dieu sait. M. de Chaulnes n’a pas oublié la gouvernante de Provence ; et un Breton ayant voulu vous nommer, et sachant mal votre nom, s’est levé, et a dit tout haut : C’est donc à la santé de madame de Carignan. Cette sottise a fait rire MM. de Chaulnes et d’Harouïs jusqu’aux larmes : les Bretons ont continué, croyant bien dire ; et vous ne serez plus d’ici à huit jours que madame de Carignan ; quelques-uns disent la comtesse de Carignan : voilà en quel état j’ai laissé les choses.

J’ai fait voir à Pomenars ce que vous dites de lui ; il en est ravi, il veut vous écrire ; et en attendant je vous assure qu’il est si hardi et si effronté, que tous les jours du monde il fait quitter la place au premier président, dont il est ennemi, aussi bien que du procureur général. Madame de Coëtquen[1] venait de recevoir la nouvelle de la mort de sa petite fille ; elle s’était évanouie ; elle en est très-affligée, et dit que jamais elle n’en aura une si jolie : mais son

  1. Marguerite de Rohan-Chabot, femme de Malo, marquis de Coëtquen, gouverneur de Saint- Malo. Elle était sœur de madame de Soubise.