Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/160

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don[1], qui peut-être y reviendra un jour comme les autres. J’irai tantôt voir madame de Rohan ; il viendrait bien du monde ici, si je n’allais à Vitré : c’était une grande joie de me voir aux états, où je ne fus de ma vie ; je n’ai pas voulu en voir l’ouverture, c’était trop matin. Les états ne doivent pas être longs ; il n’y a qu’à demander ce que veut le roi ; on ne dit pas un mot : voilà qui est fait. Pour le gouverneur, il trouve, je ne sais comment, plus de quarante mille écus qui lui reviennent. Une infinité de présents, des pensions, des réparations de chemins et de villes, quinze ou vingt grandes tables, un jeu continuel, des bals éternels, des comédies trois fois la semaine, une grande braverie[2] ; voilà les états. J’oublie trois ou quatre cents pipes de vin qu’on y boit : mais si je ne comptais pas ce petit article, les autres ne l’oublient pas, et c’est le premier. Voilà ce qui s’appelle des contes à dormir debout : mais cela vient au bout delà plume, quand on est en Bretagne et qu’on n’a pas autre chose à dire. J’ai mille compliments à vous faire de M. et de madame de Chaulnes. J’attends le vendredi, où je reçois vos lettres, avec une impatience digne de l’extrême amitié que j’ai pour vous.


62. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 19 août 1671.

Vous me dites fort plaisamment l’état où vous met mon papier parfumé : ceux qui vous voient lire mes lettres croient que je vous apprends que je suis morte, et ne se figurent point que ce soit une moindre nouvelle. Il s’en faut peu que je ne me corrige de la manière que vous l’avez imaginé ; j’irai toujours dans les excès pour ce qui sera bon, et qui dépendra de moi. J’avais déjà pensé que mon papier pourrait vous faire mal, mais ce n’était qu’au mois de novembre que j’avais résolu d’en changer ; je commence dès aujourd’hui, et vous n’avez plus à vous défendre que de la puanteur.

Vous avez une assez bonne quantité de Grignans : Dieu vous délivre de la tante[3] ! elle m’incommode d’ici. Les manches du chevalier font un bel effet, à table : quoiqu’elles entraînent tout,

  1. M. de Sévigné.
  2. Vieux mot encore en usage dans le peuple : se faire brave, pour se parer.
  3. Anne d’Ornano, comtesse d’Harcourt.