Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/165

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corps de nos Bretons que d’eau sous les ponts, puisque c’est là-dessus qu’on prend l’infinité d’argent qui se donne à tous les états. Vous voilà bien instruite, Dieu merci, de votre bon pays : mais je n’ai point de vos lettres, et par conséquent point de réponse à vous faire ; ainsi je vous parle tout naturellement de ce que je vois et de ce que j’entends. Pomenars est divin ; il n’y a point d’homme à qui je souhaite plus volontiers deux têtes ; jamais la sienne n’ira jusqu’au bout. Pour moi, ma fille, je voudrais déjà être au bout de la semaine, afin de quitter généreusement tous les honneurs de ce monde, et de jouir de moi-même aux Rochers. Adieu, ma très-chère, j’attends toujours vos lettres avec impatience ; votre santé est un point qui me touche de bien* près : je crois que vous en êtes persuadée, et que, sans donner dans la justice de croire, je puis finir ma lettre, et dormir en repos sur ce que vous pensez de mon amitié pour vous. Ne direz-vous point à M. de Grignan que je l’embrasse de tout mon cœur ?


64. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 23 août 1671.

Vous étiez donc avec votre présidente de Charmes, quand vous m’avez écrit ! Son mari était intime ami de M. Fouquet : dis-je bien ? Enfin ma fille, vous n’êtes point seule, et M. de Grignan avait raison de vous faire quitter votre cabinet, pour entretenir votre compagnie : ce qu’il aurait pu retrancher, c’est sa barbe de capucin, il est vrai qu’elle ne lui fait point de tort, puisqu’à Livry, avec sa touffe ébouriffée[1], vous ne pensiez pas qu’Adonis fut plus beau ; je redis quelquefois ces quatre vers avec admiration. Je suis surprise comme le souvenir de certains temps fait de l’impression sur l’esprit, soit en bien, soit en mal ; je me représente cette automne-là délicieuse, et puis j’en regarde la fin avec une horreur qui me fait suer les grosses gouttes[2] ; et cependant il faut remercier Dieu du bonheur qui vous tira d’affaire. Les réflexions que vous faites sur la mort de M. de Guise [3] sont admirables ; elles m’ont bien creusé les yeux dans mon mail ; car c’est là où je rêve à plaisir. Le pauvre la Mousse a eu mal aux dents ; de sorte que depuis longtemps je me promène toute seule jusqu’à la nuit,

  1. Hémistiche d’un bout-rimé rempli par madame de Grignan.
  2. A cause de la fausse couche que madame de Grignan fit à Livry.
  3. Il mourut de la petite vérole le 30 juillet 1671.