Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/166

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et Dieu sait à quoi je ne pense point. Ne craignez point pour moi l’ennui que me peut donner la solitude ; hors les maux qui viennent de mon cœur, contre lesquels je n’ai point de force, je ne suis à plaindre sur rien : mon humeur est heureuse, elle s’accommode et s’amuse de tout ; et je me trouve mieux d’être ici toute seule que du fracas de Vitré. Il y a huit jours que je suis ici, dans une paix qui m’a guérie d’un rhume épouvantable ; j’ai bu del’eau, je n’ai point parlé, je n’ai point soupe ; et quoique je n’en aie point raccourci mes promenades, je me suis guérie. Madame de Chaulnes, mademoiselle de Murinais, madame Fourché, et une fiile de Nantes fort bien faite, vinrent ici jeudi : madame de Chaulnes entra en me disant qu’elle ne pouvait être plus longtemps sans me voir, que toute la Bretagne lui pesait sur les épaules, et qu’enfin elle se mourait. Là-dessus elle se jette sur mon lit ; on se met autour d’elle, et en un moment la voilà endormie de pure fatigue ; nous causons toujours ; elle se réveille enfin, trouvant plaisante et adorant l’aimable liberté des Rochers. Nous allâmes nous promener, nous nous assîmes dans le fond de ces bois ; pendant que les autres jouaient au mail, je lui faisais conter Rome, et par quelle aventure elle avait épousé M. de Chaulnes : car je cherche toujours à ne- me point ennuyer. Pendant que nous étions là, voilà une pluie traîtresse comme une fois à Livry, qui, sans se faire craindre, se met d’abord à nous noyer, mais noyer à faire couler l’eau de partout sur nos habits : les feuilles furent percées dans un moment, et nos habits percés dans un autre moment. Nous voilà toutes à courir ; on crie, on tombe, on glisse ; enfin on arrive, on fait grand feu : on change de chemise, de jupe ; je fournis à tout ; on se fait essuyer ses souliers ; on pâme de rire. Voilà comme fut traitée la gouvernante de Bretagne dans son propre gouvernement ; après cela on fit une jolie collation, et puis cette pauvre femme s’en retourna, plus fâchée sans doute du rôle ennuyeux qu’elle allait reprendre, que de l’affront qu’elle avait reçu ici. Elle me fit promettre de vous mander cette aventure, et d’aller demain lui aider à soutenir le reste des états, qui finiront dans huit jours. Je lui promis l’un et l’autre ; je m’acquitte aujourd’hui de l’un, et demain je m’acquitterai de l’autre, ne trouvant pas que je puisse me dispenser de cette complaisance.

Madame de la Fayette vous aura mandé comme M. de la Rochefoucauld a fait duc le prince {de Marsillac) 'son fils, et de