Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/167

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quelle façon le roi a donné une nouvelle pension : enfin la manière vaut mieux que la chose, n’est-il pas vrai ? Nous avons quelquefois ri de ce discours commun à tous les courtisans. Vous avez présentement le prince Adhémar[1] ; dites-lui que j’ai reçu sa dernière lettre, et embrassez-le pour moi. Vous avez, à mon compte, cinq ou six Grignans ; c’est un bonheur, comme vous dites, qu’ils soient tous aimables et d’une bonne société ; sans cela ils feraient l’ennui de votre vie, au lieu qu’ils en font la douceur et le plaisir. On me mande qu’il y a de la rougeole à Sully, et que ma tante va prendre mes petites entrailles pour les amener chez elle : cela fâchera bien la nourrice, mais que faire ? C’est une nécessité. C’en sera une bien dure que de demeurer en Provence pour les gages, quand vous verrez partir d’auprès de vous madame de Senneterre pour Paris : je voudrais bien, ma chère enfant, que vous eussiez assez d’amitié pour moi pour ne me pas faire le même tour quand j’irai vous voir l’année qui vient. Je voudrais qu’entre ci et là vous fissiez l’impossible pour vos affaires ; c’est ce qui fait que j’y pense, et que je m’en tourmente tant. Il faut donc que je vous ramène chez moi, qui est chez vous.

M. de Chesières est ici ; il a trouvé mes arbres crus ; il en est fort étonné, après les avoir vus pas plus grands que cela, comme disait M. de Montbazon de ses enfants. Je suis fort aise que la maladie du pauvre Grignan ait été si courte ; je l’embrasse et lui souhaite toutes sortes de biens et de bonheurs, aussi bien qu’à sa chère moitié, que j’aime plus que moi-même ; je le sens du moins mille fois davantage. Notre abbé est à vous ; la Mousse attend cette lettre que vous composez.


65. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

A Vitré, dimanche 16 août 1671.

Quoi ! ma chère fille, vous avez pensé brûler, et vous voulez que je ne m’en effraye pas ! Vous voulez accouchera Grignan, et vous voulez que je ne m’en inquiète pas ! Priez-moi en même temps de ne vous aimer guère ; mais soyez assurée que pendant que vous me serez ce que vous êtes à mon cœur, c’est-à-dire pendant que je vivrai, je ne puis jamais voir tranquillement tous les maux qui vous peuvent arriver. Je prie Deville de faire tous

  1. Le chevalier de Grignan.