Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/171

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lecture. Je vous avoue pourtant que j’aurais quelque peine à vous laisser partir sitôt ; c’est une chose bien dure pour moi que de vous dire adieu ; je sais ce que m’a coûté le dernier : il serait bien de l’humeur où je suis d’en parler, mais je n’y pense encore qu’en tremblant ; ainsi vous êtes à couvert de ce chapitre. J’espère que cette lettre vous trouvera gaie ; si cela est, je vous prie de la brûler tout à l’heure ; ce serait une chose bien extraordinaire qu’elle fût agréable avec le chien d’esprit, que je me sens. Le coadjuteur est bien heureux que je ne lui fasse pas réponse aujourd’hui.

J’ai envie de vous faire vingt-cinq ou trente questions, pour finir dignement cet ouvrage. Avez- vous des muscats ? vous ne me parlez que des figues ; avez-vous bien chaud ? vous ne m’en dites rien, avez-vous de ces aimables bètes que nous avions à Paris ? avez-vous eu longtemps votre tante d’Harcourt ? Vous jugez bien qu’après avoir perdu tant de vos lettres, je suis dans une assez grande ignorance, et que j’ai perdu la suite de votre discours. Ah ! que je voudrais bien battre quelqu’un ! et quejeserais obligée à quelque Breton qui me voudrait faire une sotte proposition qui me mît en colère ! Vous me disiez l’autre jour que vous étiez bien aise que je fusse dans ma solitude, et que j’y penserais à vous : c’est bien rencontré ; c’est que je n’y pense pas assez dans tous les autres lieux. Adieu, ma fille, voici le bel endroit de ma lettre ; je finis, parce que je trouve que ceci s’extravague un peu : encore a-t-on son honneur à garder.


67. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 20 septembre 1671.

Ce n’est pas sans raison, ma chère fille, que vous fûtes troublée du mal du pauvre chevalier de Buous ; il est étrange : c’est un garçon qui me plaisait dès Paris ; je n’ai pas de peine à croire tout le bien que vous m’en dites ; ce qui est plus extraordinaire, c’est cette crainte de la mort ; c’est un beau sujet de faire des réflexions, que l’état où vous le dépeignez. Il est certain qu’en ce temps-là nous aurons de la foi de reste ; elle fera tous nos désespoirs et tous nos troubles ; et ce temps que nous prodiguons, et que nous voulons qui coule présentement, nous manquera ; et nous donnerions toutes choses pour avoir un de ces jours que nous perdons avec tant d’insensibilité : voilà de quoi je m’entretiens dans ce mail que vous connaissez. La morale chrétienne est excellente à tous les