Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/174

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

ont décidé en faveur de la mort ; il ne s’en soucie guère, car son cerveau est embarrassé ; mais son frère l’avocat général[1] s’en soucie beaucoup, et pleure très-souvent avec moi ; car je vais le voir, et suis son unique consolation : c’est dans ces occasions qu’il faut faire des merveilles. Du reste, je suis dans ma chambre à lire, sans oser mettre le nez dehors. Mon cœur est content, parce que je crois que vous vous portez bien ; cela me fait supporter les tempêtes, car ce sont des tempêtes continuelles : sans le repos que me donne mon cœur, je ne souffrirais pas impunément l’affront que me fait le mois de septembre ; c’est une trahison, dans la saison où nous sommes, au milieu de vingt ouvriers : je ferais un beau bruit, Quos ego[2] !

Je poursuis cette morale de Nicole, que je trouve délicieuse ; elle ne m’a encore donné aucune leçon contre la pluie, mais j’en attends, car j’y trouve tout ; et la conformité à la volonté de Dieu me pourrait suffire, si je ne voulais un remède spécifique. Enfin je trouve ce livre admirable ; personne n’a écrit comme ces messieurs, car je mets Pascal de moitié à tout ce qui est beau. On aime tant à entendre parler de soi et de ses sentiments, que, quoique ce soit en mal, on en est charmé. J’ai même pardonné Y enflure du cœur en faveur du reste, et je maintiens qu’il n’y a point d’autre mot pour expliquer la vanité et l’orgueil, qui sont proprement du vent : cherchez un autre mot ; j’achèverai cette lecture avec plaisir. Nous lisons aussi l’histoire de France depuis le roi Jean ; je veux la débrouiller dans ma tête, au moins autant que l’histoire romaine, où je n’ai ni parents, ni amis ; encore trouve-t-on ici des noms de connaissance : enfin, tant que nous aurons des livres, nous ne nous pendrons pas ; vous jugez bien qu’avec cette humeur je ne suis point désagréable à notre Mousse. Nous avons pour la dévotion ce recueil des lettres de M. de Saint-Cyran, que M. d’Andilly vous enverra, et que vous trouverez admirable. Voilà, mon enfant, tout ce que vous peut dire une vraie solitaire.

On me mande que madame de Verneuil est très-malade. Le roi causa une heure avec le bonhomme d’Andilly[3] aussi plaisamment, aussi bonnement, aussi agréablement qu’il est possible : il était

  1. Au parlement de Rennes.
  2. Virgile, Enéide, liv. I er, vers 134. Ces par ces mots que Neptune, en courroux, fait disparaître les vents qui ont excité une tempête sans son ordre.
  3. Père de M. de Pomponne, que le roi avait choisi pour remplacer M. de Lionne au ministère des affaires étrangères.