Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/183

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je n’ai vu moins de monde que cette année. La Troche, que j’attendais, est malade. Nous sommes donc seuls, nous lisons beaucoup ; et l’on trouve le soir et le lendemain comme ailleurs. Adieu, ma chère enfant, je suis à vous, sans aucune exagération ni fin de lettre, hasta la muerte inclusivement ; j’embrasse M. de Claudiopolis, et le colonel Adhémar, et le beau chevalier. Pour M. de Grignan, il a son fait à part.


74. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 11 novembre 1671.

Plût à Dieu, ma fille, que de penser continuellement à vous avec toutes les tendresses et les inquiétudes possibles vous pût être bon à quelque chose ! Il me semble que l’état où je suis ne devrait point vous être entièrement inutile : cependant il ne vous sert de rien ; et de quoi pourrait-il vous servir à deux cents lieues de vous ? J’attends vendredi avec de grandes impatiences : voilà comme je suis à toujours pousser le temps avec l’épaule ; et c’est ce que je n’aimais point à faire, et que je n’avais fait de ma vie, trouvant toujours que le temps marche assez, sans qu’on le hâte d’aller. Madame de la Fayette me mande qu’elle va vous écrire : je crois qu’elle n’aura pas manqué de vous apprendre que la Marans entra l’autre jour chez la reine à la comédie espagnole, tout effarée, ayant perdu la tramontane dès le premier pas ; elle prit la place de madame du Fresnoi ; on se moqua d’elle, comme d’une folle très-malapprise. v

L’autre jour, Pomenars passa par ici : il venait de Laval, où il trouva une grande assemblée de peuple ; il demanda ce que c’était. C’est, lui dit-on, que l’on pend en effigie un gentilhomme qui avait enlevé la fille de M. le comte de Créance ; cet homme-là, sire, c’était lui-même. Il approcha, il trouva que le peintre l’avait mal habillé ; il s’en plaignit : il alla souper et coucher chez le juge qui l’avait condamné : le lendemain, il vint ici, se pâmant de rire ; il en partit cependant dès le grand matin, le jour d’après.

Pour des devises, hélas, ma fille ! ma pauvre tête n’est guère en état de songer, ni d’imaginer : cependant, comme il y a douze heures au jour, et plus de cinquante à la nuit, j’ai trouvé dans ma mémoire une fusée poussée fort haut, avec ces mots : Che péri, pur clie s’ innahi. Plût à Dieu que je l’eusse inventée ! je la trouve toute faite pour Adhémar : Qu’elle périsse, pourvu qu’elle