Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/185

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Che péri, pur che m' innalzi.

Voilà le vrai discours d’un petit glorieux, d’un petit ambitieux, d’un petit téméraire, d’un petit impétueux, d’un petit maréchal de France. J’ai bien envie d’en savoir votre avis, et où je l’ai pêchée, car je ne crois pas l’avoir faite. Pour M. de Grignan, ah ! je le crois ; je suis assurée qu’il aime mieux une grive que vous ; et sur ce pied-là, j’aime mieux un hibou que lui : qu’il s’examine, je l’aime comme il vous aime à proportion ; je sais bien toujours qu’il y a une chose qui m’en fera juger. Mais, mon enfant, n’admirez-vous point les erreurs et les contre-temps que fait l’éloignement ? Je suis en peine de vous quand vous êtes en bonne santé ; et quand vous serez malade, une de vos lettres me redonnera de la joie ; mais cette joie ne peut être longue ; car enfin il faut accoucher, et c’est cela qui vient dans le milieu du cœur et qui me trouble avec raison, jusqu’à ce que j’apprenne votre heureux accouchement. Vous êtes donc résolue d’accoucher à Lambesc ? Avez-vous votre chirurgien ? La petite Devilleme mande que vous le connaissez, c’est beaucoup ; je crains qu’il ne soit jeune, puisqu’il vous saigne ; et les jeunes gens n’ont guère d’expérience. Enfin je ne sais ce que je dis : mais ayez soin de vous par-dessus toutes choses. Le passé doit vous avoir rendue sage ; pour moi, je suis d’une capacité qui me surprend.

Vous ai-je dit que je faisais planter la plus jolie place du monde ? Je me plante moi-même au milieu de la plaee, où personne ne me tient compagnie, parce qu’on meurt de froid. La Mousse fait vingt tours pour s’échauffer : l’abbé va et vient pour nos affaires ; et moi, je suis là fichée avec ma casaque, à penser à la Provence ; car cette pensée ne me quitte jamais. Je voudrais bien apprendre ici les nouvelles de votre accouchement : la fatigue des chemins et ma violente inquiétude ne me paraissent pas deux choses qu’on puisse supporter à la fois. Mandez-moi de bonne foi quel nom prendra Adhémar ; je le trouve empêché : M. de Grignan défend Grignan, et a raison ; Rouville[1] défend l’autre ; il faudra se réduire au petit glorieux[2].

  1. rançois, comte de Rouville, homme original, qui disait hautement la vérité.
  2. M. de Guilleragues disait que tous les Grignan étaient glorieux. On lui disait : Mais Adhémar l’est-il ? Il répondit, glorieus et, voulant dire moins glorieux que les autres, mais pourtant glorieux ; et depuis on l’appela le petit glorieux.