Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/187

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et de l’avoir fait nommer par la Provence[1] ! voilà qui est à souhait. Ma fille, je vous remercie plus de mille fois des trois lignes que vous m’avez écrites : elles m’ont donné l’achèvement d’une joie complète. Mon abbé est transporté comme moi, et notre Mousse est ravi. Adieu, mon ange ; j’ai bien d’autres lettres à écrire que la vôtre.


77. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 23 décembre 1671.

Je vous écris un peu de provision, parce que je veux causer un moment avec vous. Après que j’eus envoyé mon paquet le jour de mon arrivée, le petit Dubois m’apporta celui que je croyais égaré : vous pouvez penser avec quelle joie je le reçus. Je n’y pus faire réponse, parce que madame de la Fayette, madame de Saint-Géran, madame de Villars, me vinrent embrasser. Vous avez tous les étonnements que doit donner un malheur comme celui de M. de Lauzun ; toutes vos réflexions sont justes et naturelles ; tous ceux qui ont de l’esprit les ont faites, mais on commence à n’y plus penser : voici un bon pays pour oublier les malheureux. On a su qu’il avait fait son voyage dans un si grand désespoir, qu’on ne le quittait pas d’un moment. On voulut le faire descendre de carrosse à un endroit dangereux ; il répondit : Ces malheurs-là ne

  • ont pas faits pour moi. Il dit qu’il est innocent à l’égard du

roi ; mais que son crime est d’avoir des ennemis trop puissants Le roi n’a rien dit, et ce silence déclare assez la qualité de son crime. Il crut qu’on le laisserait à Pierre-Encise, et il commençait à Lyon à faire ses compliments à M. d’Artagnan ; mais quand il sut qu’on le menait à Pignerol, il soupira, et dit : Je suis perdu. On avait grand’ pitié de sa disgrâce dans les villes où il passait : il faut avouer aussi qu’elle est extrême.

Le roi envoya quérir dans ce temps-là M. de Marsillac, et lui dit : « Je vous donne le gouvernement de Berri, qu’avait Lauzun. » Marsillac répondit : « Sire, que Votre Majesté, qui sait mieux les règles de l’honneur que personne du monde, se souvienne, s’il lui plaît, que je n’étais pas ami de Lauzun ; qu’elle ait la bonté de se mettre un moment à ma place, et qu’elle juge si je dois accepter la grâce qu’elle me fait. — Vous êtes, dit le roi, trop

  1. Il fut tenu sur les fonts par les procureurs du pays do Provence, et nommé Louis-Provence.