Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/188

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scrupuleux ; j’en sais autant qu’un autre là-dessus ; mais vous n’en devez faire aucune difficulté. — Sire, puisque Votre Majesté l’approuve, je me jette à ses pieds pour la remercier.-Mais, dit le roi, je vous ai donné une pension de douze mille francs, en attendant que vous eussiez quelque chose de mieux. — Oui, sire, je la remets entre vos mains. — Et moi, dit le roi, je vous la donne une seconde fois, et je m’en vais vous faire honneur de vos beaux sentiments. » En disant cela, il se tourne vers ses ministres, leur conte les scrupules de M. de Marsillac, et dit : « J’admire la différence : jamais Lauzun n’avait daigné me remercier du gouvernement de Berri ; il n’en avait pas pris les provisions ; et voilà un homme pénétré de reconnaissance. » Tout ceci est extrêmement vrai, M. de la Rochefoucauld vient de me le conter. J’ai cru que vous ne haïriez pas ces détails ; si je me trompais, mandez-le-moi. Ce pauvre homme est très-mal de sa goutte, et bien pis que les autres années : il m’a bien parlé de vous ; il vous aime toujours comme sa fille. Le prince de Marsillac ni’est venu voir, et l’on me parle toujours de ma chère enfant.

J’ai vu M. de Mesmes, qui enfin a perdu sa chère femme ; il a pleuré et sangloté en me voyant ; et moi, je n’ai jamais pu retenir mes larmes. Toute la France a visité cette maison ; je vous conseille de lui faire vos compliments ; vous le devez, parle souvenir de Livry que vous aimez encore.

Est-il possible que mes lettres vous soient agréables au point que vous me le dites ? Je ne les sens point telles en sortant de mes mains ; je crois qu’elles le deviennent quand elles ont passé par les vôtres : enfin, ma chère enfant, c’est un grand bonheur que vous les aimiez ; car, de la manière dont vous en êtes accablée, vous seriez fort à plaindre si cela était autrement. M. de Coulanges est bien en peine de savoir laquelle de vos madames y prend goût : nous trouvons que c’est un bon signe pour elle ; car mon style est si négligé, qu’il faut avoir un esprit naturel et du monde pour pouvoir s’en accommoder.

J’ai envoyé quérir Pecquet pour discourir de la petite vérole de votre enfant ; il en est épouvanté ; mais il admire sa force d’avoir pu chasser ce venin, et croit qu’il vivra cent ans, après avoir si bien commencé.

J’ai enfin pris courage, j’ai causé douze heures avec Coulanges[1] ;

  1. M. de Coulanges arrivait de Provence avec une femme de chambre de Mme de Grigaan, nommée Cateau.