Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/189

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je ne comprends pas qu’on puisse parler à d’autres. C’est un grand bonheur que le hasard m’ait fait loger chez lui. Çà, courage ! mou cœur, point de faiblesse humaine ! et, en me fortifiant ainsi, j’ai passé par-dessus mes premières faiblesses. Mais Cateau m’a mise encore une fois en déroute ; elle entra, il me sembla qu’elle me devait dire : — Madame, madame vous donne le bonjour ; elle vous prie de la venir voir. — Elle me reparla de tout votre voyage, et que quelquefois vous vous souveniez de moi. Je fus une heure assez impertinente : je m’amuse à votre fille ; vous n’en faites pas grand cas, mais nous vous le rendons bien : on m’embrasse, on me connaît, on me crie, on m’appelle. Je suis maman tout court ; et de celle de Provence, pas un mot.

Le roi part le 5 janvier pour Châlons, et doit faire plusieurs autres tours : quelques revues chemin faisant ; le voyage sera de douze jours, mais les officiers et les troupes iront plus loin : pour moi, je soupçonne encore quelque expédition comme celle de la Franche-Comté. Vous savez que le roi est un héros de toutes les saisons[1]. Les pauvres courtisans sont désolés ; ils n’ont pas un sou. Brancas me demanda hier de bonne foi si je ne voudrais point prêter sur gages, et m’assura qu’il n’en parlerait point, et qu’il aimerait mieux avoir affaire à moi qu’à un autre. La Trousse me prie de lui apprendre quelques-uns des secrets de Pomenars, pour subsister honnêtement : enfin, ils sont abîmés. Voilà Châtillon, que j’exhorte à vous faire un impromptu ; il me demande huit jours, et je l’assure déjà qu’il ne sera que réchauffé, et qu’il le tirera du fond de cette gibecière que vous connaissez. Adieu, belle comtesse, il y a raison partout ; cette lettre est devenue un juste volume. J’embrasse le laborieux Grignan, le seigneur Corbeau[2], le présomptueux Adhémar, et le fortuné Louis-Provence, sur qui tous les astrologues disent que les fées ont soufflé. E con questo mi raccommando.


78. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

« À Paris, le jour de Noël, vendredi 1671.

Le lendemain que j’eus reçu votre lettre, M. le Camus me vint voir : je l’entretins de ce qu’il avait à dire sur les soins, le zèle et l’application de M. de Grignan pour faire réussir l’affaire de Sa

  1. C’est la pensée d’un madrigal de mademoiselle de Scudéri.
  2. Le coadjuteur d’Arles.