Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/192

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Bouillon et M. de Créqui fussent témoins de ce qui se passerait. L’ambassadeur présenta sa lettre au roi, qui ne la lut pas, quoique le Hollandais proposât d’en faire la lecture : le roi lui dit qu’il en savait le contenu, et qu’il en avait une copie dans sa poche. L’ambassadeur s’étendit fort au long sur les justifications qui étaient dans la lettre, et que messieurs les états s’étaient examinés scrupuleusement, pour voir ce qu’ils auraient pu faire qui déplût à Sa Majesté ; qu’ils n’avaient jamais manqué de respect, et que cependant ils entendaient dire que tout ce grand armement n’était fait que pour fondre sur eux ; qu 'ils étaient prêts de satisfaire Sa Majesté dans tout ce qu’il lui plairait d’ordonner ; et qu’ils la suppliaient de se souvenir des bontés que les rois ses prédécesseurs avaient eues pour eux, et auxquelles ils devaient toute leur grandeur. Le roi prit la parole, et dit, avec une majesté et une grâce merveilleuse, qu’il savait qu’on excitait ses ennemis contre lui ; qu’il avait cru qu’il était de sa prudence de ne se pas laisser surprendre ; et que c’est ce qui l’avait obligé à se rendre si puissant sur la mer et sur la terre, afin d’être en état de se défendre ; qu’il lui restait encore quelques ordres à donner, et qu’au printemps il ferait ce qu’il trouverait le plus avantageux pour sa gloire et pour le bien de son État ; et fit comprendre ensuite à l’ambassadeur, par un signe de tête, qu’il ne voulait point de réplique. La lettre s’est trouvée conforme au discours de l’ambassadeur, hormis qu’elle finissait par assurer Sa Majesté qu’ils feraient tout ce qu’elle ordonnerait, pourvu qu’il ne leur en coûtât point de se brouiller avec leurs alliés.

Ce même jour, M. de la Feuillade fut reçu à la tête du régiment des gardes, et prêta le serment entre les mains d’un maréchal de France, comme c’est la coutume ; et le roi, qui était présent, dit lui-même au régiment qu’il leur donnait M. de la Feuillade pour mestre de camp, et lui mit la pique à la main, chose qui ne se fait jamais que par le commissaire, de la part du roi ; mais Sa Majesté a voulu que nulle faveur ni nul agrément ne manquât à cette cérémonie.

MM. Dangeau et Langlée[1] ont eu de grosses paroles, à la rue des Jacobins, sur un payement de l’argent du jeu. Dangeau menaça, Langlée repoussa l’injure par lui dire qu’il ne se souvenait pas

    avec le roi d’Angleterre Charles, aux termes du traité d’alliance que Madame avait négocié au mois de juin 1670.

  1. Langlée était un homme d’une naissance obscure, qui s’était introduit à la cour par l’intrigue, et en y jouant très-gros jeu.