Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/201

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a fait. J’ai été aujourd’hui chez Mademoiselle, qui m’a envoyé dire d’y aller ; Monsieur y est venu, il m’a parlé de vous, il m’a assuré que rien ne pouvait tenir votre place au bal ; il m’a dit que votre absence ne devait pas m’empêcher d’aller voir son bal ; c’est justement de quoi j’ai grande envie. Il a été fort question de la guerre, qui est enfin très-certaine. Nous attendons la résolution de la reine d’Espagne[1] ; et, quoi qu’elledise, nous voulons guerroyer : si elle est pour nous, nous fondrons sur les Hollandais ; si elle est contre nous, nous prendrons la Flandre : et quand nous aurons commencé la noise, nous ne l’apaiserons peut-être pas aisément. Cependant nos troupes marchent vers Cologne. C’est M. de Luxembourg qui doit ouvrir la scène. Il y a quelques mouvements en Allemagne.

J’ai fort causé avec M. d’Uzès : notre abbé lui a parlé de très-bonne grâce du dessein qu’il a pour l’abbé de Grignan[2] : il faut tenir cette affaire très-secrète ; c’est sur la tête de M. d’Uzès qu’elle roule ; car on ne peut obtenir de Sa Majesté les agréments nécessaires que par son moyen. On mé dit en rentrant ici que le chevalier de Grignan a la petite vérole chez M. d’Uzès : ce serait un grand malheur pour lui, un grand chagrin pour ceux qui l’aiment, et un grand embarras pour M. d’Uzès, qui serait hors d’état d’agir dans toutes les choses où l’on a besoin de lui : voilà qui serait digne de mon malheur ordinaire.

Vous me louez continuellement sur mes lettres, et je n’ose plus parler des vôtres, de peur que cela n’ait l’air de rendre louanges pour louanges ; mais encore ne faut-il pas se contraindre jusqu’à ne pas dire la vérité : vous avez des pensées et des tirades incomparables, il ne manque rien à votre style : d’Hacqueville et moi, nous étions ravisde lire certains endroits brillants ; et même dans vos narrations, l’endroit qui regarde le roi, votre colère contre Lauzun et contre l’évêque, ce sont des traits de maître : quelquefois j’en donne aussi une petite part à madame de Villars ; mais elle s’attache aux tendresses, et les larmes lui en viennent fort bien aux yeux. Ne craignez point que je montre vos lettres mal à propos ; je sais parfaitement

  1. Anne-Marie d’Autriche, veuve de Philippe IV, roi d’Espagne, et mère de Charles II, qui ne fut déclaré majeur qu’en 1676, et dont les États étaient alors gouvernés par la reine sa mère, assistée de six conseillers nommés par le feu roi.
  2. Il parait que l’abbé de Coulanges cherchait à résigner l’abbaye de Livry en Saveur de l’abbé de Grignan.