Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/205

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sèche en même temps ; il me semble que c’est comme celle de madame de Saint-Simon. Ripert vous en écrira plus sûrement que moi ; j’en sais pourtant tous les jours des nouvelles, et j’en suis dans une très-véritable inquiétude ; je l’aime encore plus que je ne pensais. Cette nuit, madame la princesse de Conti est tombée en apoplexie : elle n’est pas encore morte, mais elle n’a aucune connaissance ; elle est sans pouls et sans parole ; on la martyrise pour la faire revenir : il y a cent personnes dans sa chambre, trois cents dans sa maison : on pleure, on crie ; voilà tout ce que j’en sais jusqu’à présent. Pour M. le chancelier (P. Séguier), il est mort très assurément ; mais mort en grand homme : son bel esprit, sa prodigieuse mémoire, sa naturelle éloquence, sa haute piété, se sont rassemblés aux derniers jours de sa vie : la comparaison du flambeau qui redouble sa lumière en finissant, est juste pour lui. Le Mascaron[1] l’assistait, et se trouvait confondu par ses réponses et par ses citations ; il paraphrasait le Miserere, et faisait pleurer tout le monde ; il citait la sainte Écriture et les Pères, mieux que les évêques dont il était environné ; enfin sa mort est une des plus belles et des plus extraordinaires choses du monde. Ce qui l’est encore plus, c’est qu’il n’a point laissé de grands biens ; il était aussi riche en entrant à la cour, qu’il l’était en mourant. Il est vrai qu’il a établi sa famille ; mais si on prenait chez lui, ce n’était pas lui. Enfin il ne laisse que soixante-dix mille livres de rente ; est-ce du bien pour un homme qui a été quarante ans chancelier, et qui était riche naturellement ? La mort découvre bien des choses, et ce n’est point de sa famille que je tiens tout ceci. On les voit : nous avons fait aujourd’hui nos stations, madame de Coulanges et moi. Madame de Verneuil [2] est si mal, qu’elle n’a pu voir le monde. On ne sait encore qui aura les sceaux.

Je vous conjure de mander au coadjuteur qu’il songe à faire réponse sur l’affaire dont lui écrit M. d’Agen [3], j’en suis tourmentée : cela est mal d’être paresseux avec un évêque de réputation. Je remets tous les jours à écrire à ce coadjuteur ; son irrégularité me débauche ; je le condamne, et je l’imite. J’embrasse M. de Grignan : est-il encore question des grives ? Il y avait l’autre jour une

  1. Jules Mascaron, de l’Oratoire, célèbre prédicateur, évêque de Tulle.
  2. Fille de M. Séguier.
  3. Claude Joli, évêque d’Agen.