Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/218

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de Coulanges, M. l’abbé, matante, ma cousine, la Mousse, c’est un cri général pour me prier de parler d’eux ; mais je ne suis pas toujours en humeur de faire des litanies ; j’en oublie encore : en voilà pour longtemps. Le pauvre Ripert est toujours au lit : il me vient des pensées sur son mal ; que diantre a-t-il ? J’aime toujours ma petite enfant, malgré les divines beautés de son frère.

Adieu, ma chère enfant, j’embrasse votre comte ; je l’aime encore mieux dans son appartement que dans le vôtre. Hélas ! quelle joie de vous voir belle taille, en santé, en état d’aller, de trotter comme une autre. Donnez-moi le plaisir de vous revoir ainsi.


93. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 16 mars 1672.

Vous me parlez de mon départ : ah ! ma fille, je languis dans cet espoir charmant ; rien ne m’arrête que ma tante[1], qui se meurt de douleur et d’hydropisie : elle me brise le cœur par l’état où elle est, et partout ce qu’elle dit de tendre et de bon sens ; son courage, sa patience, sa résignation, tout cela est admirable. M. d’Hacqueville et moi, nous suivons son mal jour à jour : il voit mon cœur, et la douleur que j’ai de n’être pas libre tout présentement : je me conduis par ses avis ; nous verrons entre ci et Pâques : si son mal augmente, comme il a fait depuis que je suis ici, elle mourra entre nos bras : si elle reçoit quelque soulagement, et qu’elle prenne le train de languir, je partirai dès que M. de Coulanges sera revenu. Notre pauvre abbé est au désespoir, aussi bien que moi ; nous verrons donc comme cet excès de mal se tournera dans le mois d’avril : je n’ai que cela dans la tête : vous ne sauriez avoir tant d’envie de me voir que j’en ai de vous embrasser : bornez votre ambition, et ne croyez pas me pouvoir jamais égaler là-dessus.

Mon fils me mande qu’ils sont misérables en Allemagne, et ne savent ce qu’ils font. Il a été très-affligé de la mort du chevalier de Grignan. Vous me demandez, ma chère enfant, si j’aime toujours bien la vie : je vous avoue que j’y trouve des chagrins cuisants ; mais je suis encore plus dégoûtée de la mort : je me trouve si malheureuse d’avoir à finir tout ceci par elle, que, si je pouvais retourner en arrière, je ne demanderais pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m’embarrasse : je suis embar-

  1. Henriette de Coulanges, marquise de la Trousse.