Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/22

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Elle verrait mourir le plus fidèle amant,
Faute de l’assister d’un regard seulement.
Injuste procédé, sotte façon de faire,
Que la pucelle tient de madame sa mère,
Et que la bonne dame au courage inhumain,
Se lassant aussi peu d’être belle que sage,
Encore tous les jours applique à son usage
Au détriment du genre humain.

La Fontaine, à la même époque, plaça cette dédicace en l’honneur de la plus jolie fille de France [1], au commencement de la fable du Lion amoureux :

Sévigné, de qui les attraits
Servent aux Grâces de modèle,
Et qui naquîtes toute belle,
A votre indifférence près [2],
Pourriez-vous être favorable
Aux jeux innocents d’une fable ? etc.

Plusieurs seigneurs prétendirent à la main de mademoiselle de

  1. Expression de Bussy sur mademoiselle de Sévigné.
  2. Ce qu’on connaît de madame de Grignan par les lettres de sa mère, explique assez cette restriction de la Fontaine. On voit que cette femme, belle, vertueuse, spirituelle et savante, était froide, réservée, et même assez dédaigneuse. Souvent cette froideur attrista et même blessa sa mère, dont l’humeur était fort différente. De là, ces petits démêlés dont on surprend la trace dans les lettres de madame de Sévigné, à la suite des séjours de madame de Grignan à Paris. Il est vrai que tout n’était pas de la faute de madame de Grignan. L’abbé de Vauxcelles a dit fort spirituellement : « En amitié, les torts sont de celui qui aime moins ; et les imprudences, de celui qui aime trop. » Madame de Sévigné se rendit quelquefois coupable d’imprudence dans ses rapports avec sa fille, en s’abandonnant sans réserve et sans mesure aux mouvements de son affection pour elle. Les témoignages sans cesse prodigués d’une tendresse aussi vive, aussi ardente, d’un amour maternel qui avait pris tous les caractères d’une passion, risquaient, on le conçoit, de fatiguer ou d’importuner une personne froide, grave, peu expansive. Madame de Sévigné fut toujours sincère, mais ne fut pas toujours assez raisonnable dans son amour. L’excès ne vaut rien, même dans les sentiments les plus légitimes : il peut étonner et froisser l’objet même d’une affection si violente ; il peut, aux yeux des autres, donner les apparences de l’exagération ou du mensonge à la tendresse la plus naturelle et la plus pure. Les esprits froids, et même beaucoup d’esprits sévères, s’y méprendront, et calomnieront de bonne foi ce qu’ils ne peuvent comprendre. En vengeant madame de Sévigné de l’outrage que lui font ceux qui l’accusent de renchérir sur ses sentiments et de faire parade d’amour maternel, on aurait pu remarquer que