Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/23

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Sévigné. Le comte de Grignan fut préféré, et l’épousa en 1669. Il n’était plus jeune : âgé de quarante ans, il avait été déjà marié deux fois, et avait eu deux filles de sa première femme. Mais madame de Sévigné le trouvait tel qu’on le pouvait souhaiter, et par sa naissance, et par ses établissements, et par ses bonnes qualités. Il était, à cette époque, attaché à la cour ; et l’estime dont il y jouissait semblait devoir l’appeler aux plus brillants emplois. Madame de Sévigné se réjouissait d’une alliance qui, en lui faisant attendre pour sa fille une haute fortune, lui laissait l’espérance de la garder auprès d’elle : cette attente fut trompée en partie. M. de Grignan fut appelé à un poste éminent, mais loin de Paris et de la cour. Quinze ou seize mois après son mariage, il alla remplir en Provence les fonctions de gouverneur, et emmena sa femme avec lui.

Madame de Sévigné aimait sa fille avec idolâtrie. Cette séparation creusa dans sa vie un vide profond et douloureux, auquel elle ne put jamais s’accoutumer. Pour le combler, elle eut recours à la grande ressource des âmes tendres contre l’absence : elle écrivit des lettres, et les multiplia, sans jamais se rassasier de cette douceur. Ainsi se forma ce précieux recueil qui devait être lu par la postérité et placé au nombre des plus rares monuments du génie.

Madame de Sévigné nourrit pendant longtemps l’espérance de voir rappeler son gendre à la cour, pour y occuper une place digne de ses services. Ce rappel n’eut pas lieu : elle ne revit sa fille qu’au moyen des voyages qu’elle faisait en Provence, ou des visites, beaucoup trop rares à son gré, qu’elle recevait d’elle à Paris. Madame de Sévigné avait eu de l’ambition, non pour elle, mais pour ses enfants : aussi les vit-elle avec peine rester en chemin. M. de Grignan ne sortit pas de son gouvernement de Provence,

    les passions singulières et extrêmes comme la sienne ont un malheur, celui de devenir aisément suspectes d’exagération à beaucoup de gens. Disons aussi que l’amour maternel, quand il déborde ainsi, ne garde pas toujours toute la dignité qui lui convient et qu’il peut conserver même dans la familiarité de l’entretien le plus intime. Madame de Sévigné tombe quelquefois à l’égard de sa fille dans une espèce d’idolâtrie minutieuse, puérile, indiscrète, qu’on ne pardonnerait qu’à l’amour et dont le lecteur, même le mieux disposé, s’étonne, dont il se sent un peu confus pour elle. Il est difficile de ne pas éprouver quelque chose de cette impression, quand on la voit, à soixante ans, prodiguer mille petits soins, mille petites caresses, mille petites flatteries à une fille de quarante, et, après une séparation déjà longue, s’alarmer de tout pour elle, et ne pas lui laisser faire un pas, un mouvement, sans l’accabler de recommandations, d’avertissements, de prières.