Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/223

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madame de Coulanges ; c’était une chose résolue, sans le pitoyable état où se trouve ma tante : mais il faut avoir encore patience ; rien ne m’arrêtera, dès que je serai libre de partir : je viens d’acheter un carrosse de campagne, je fais faire des habits ; enfin je partirai du jour au lendemain. Jamais je n’ai rien souhaité avec tant de passion ; fiez-vous à moi pour n’y pas perdre un moment : c’est mon malheur qui me fait trouver des retardements où les autres n’en trouvent point.

Je voudrais bien vous pouvoir envoyer notre cardinal ; ce se« rait un grand amusement de causer avec lui : je ne vous trouve rien qui puisse vous divertir ; mais, au lieu de prendre le chemin de Provence, il s’en va à Commerci. On dit que le roi a quelque regret du départ de Canaples : il avait un régiment, il a été cassé ; il a demandé dix abbayes, on les lui a toutes refusées ; il a demandé de servir d’aide de camp cette campagne : il est refusé ; sur cela il écrit à son frère aîné une lettre pleine de désespoir et de respect tout ensemble pour Sa Majesté, et s’en va sur le vaisseau du duc d’York[1], qui l’aime et l’estime : voilà l’histoire un peu plus en détail. On ne parle plus que de guerre et de partir : tout le mond e pst triste, tout le monde est ému.

Le maréchal de Gramont était l’autre jour si transporté de la beauté d’un sermon de Bourdaloue, qu’il s’écria tout haut, en un endroit qui le toucha : Mordieu, il a raison ! Madame éclata de rire ; et le sermon en fut tellement interrompu, qu’on ne savait ce qui en arriverait. Je ne crois pas, de la façon que vous dépeignez vos prédicateurs, que si vous les interrompez, ce soit par des admirations. Adieu ma très-chère et très-aimable ; quand je pense au pays qui nous sépare, je perds la raison, et je n’ai plus de repos. Je blâme Adhémar d’avoir changé de nom ; c’est le petit dénaturé.


96. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 22 avril 1672.

Je reçus votre lettre du 13 justement quand on ne pouvait plus y faire réponse : quelque soin que j’eusse pris à la poste, elle avait été abandonnée à la paresse des facteurs ; et voilà précisément ce que je crains. Je ferai mon possible pour retrouver quelque nouvel ami (au bureau de ta poste), ou plutôt je vous avoue que je vou-

  1. Depuis Jacques II, roi d’Angleterre.