Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/230

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disparu aussi, se trouveront[1] : il ira demain à Soissons, et tout de suite, comme il l’avait résolu : si vous ne trouvez cela galant, vous n’avez qu’à le dire. La tristesse où tout le monde se trouve est une chose qu’on ne saurait imaginer au point qu’elle est. La reine est demeurée régente : toutes les compagnies souveraines l’ont été saluer. Voici une étrange guerre, qui commence bien tristement.


99. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, mercredi 4 mai 1672.

Je ne puis vous dire combien je vous plains, ma fille, combien je vous loue, combien je vous admire : voilà mon discours divisé en trois points. Je vous plains d’être sujette à des humeurs noires qui vous font assurément beaucoup de mal, je vous loue d’en être la maîtresse quand il le faut, et principalement pour M. de Grignan, qui en serait pénétré ; c’est une marque de l’amitié et de la complaisance que vous avez pour lui ; et je vous admire de vous contraindre pour paraître ce que vous n’êtes pas : voilà qui est héroïque, et le fruit de votre philosophie ; vous avez en vous de quoi l’exercer. Tsous trouvions l’autre jour qu’il n’y avait de véritable mal dans la vie que les grandes douleurs ; tout le reste est dans l’imagination, et dépend de la manière dont on conçoit les choses : tous les autres maux trouvent leur remède, ou dans le temps, ou dans la modération, ou dans la force de l’esprit ; les réflexions, la dévotion, la philosophie, les peuvent adoucir. Quant aux douleurs, elles tiennent l’âme et le corps ; la vue de Dieu les fait souffrir avec patience ; elle fait qu’on en profite, mais elle ne les diminue point.

Voilà un discours qui aurait tout l’air d’avoir été rapporté tout entier du faubourg Saint-Germain[2] ; cependant il est de chez ma pauvre tante, où j’étais l’aigle de la conversation : elle nous en donnait le sujet par ses extrêmes souffrances, qu’elle ne veut pas qu’on mette en comparaison avec nul autre mal de la vie. M de la Rochefoucauld est bien de cet avis ; il est toujours accablé de gouttes : il a perdu sa vraie mère[3], dont il est véritablement affligé ; je l’en ai vu pleurer avec une tendresse qui me le faisait adorer. C’était une femme d’un extrême mérite ; et enfin, dit-il, c’était

  1. Il parait qu’il s’agit ici de madame de Montespan.
  2. C’est-à-dire de chez madame de la Fayette.
  3. Gabrielle du Plesbis de Liancourt.