Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/241

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elle prend des bouillons, parce que Dieu le veut ; elle n’a aucun repos ; sa santé, déjà très-mauvaise, est visiblement altérée : pour moi, je lui souhaite la mort, ne comprenant pas qu’elle puisse vivre après une telle perte.

Il y a un homme[1] dans le monde qui n’est guère moins touché ; j’ai dans la tête que s’ils s’étaient rencontrés tous deux dans ces premiers moments, et qu’il n’y eût eu personne avec eux, tous les autres sentiments auraient fait place à des cris et à des larmes, que l’on aurait redoublés de bon cœur : c’est une vision.

Mais enfin quelle affliction ne montre point notre grosse marquise d’Huxelles sur le pied de la bonne amitié ? Les maîtresses ne s’en contraignent pas. Toute sa pauvre maison revient ; et son écuyer, qui arriva hier, ne paraît pas un homme raisonnable : cette mort efface les autres. Un courrier d’hier au soir apporta la mort du comte du Plessis[2], qui faisait faire un pont ; un coup de canon l’a emporté. M. de Turenne assiège Arnheim : on parle aussi du fort de Skenk. Ah ! que ces beaux commencements seront suivis d’une fin tragique pour bien des gens ! Dieu conserve mon pauvre fils ! Il n’a point été de ce passage ; s’il y avait quelque chose de bon à un tel métier, ce serait d’être attaché à une charge. Mais la campagne n’est point finie.

Voilà des relations, il n’y en a point de meilleure : vous verrez dans toutes que M. de Longueville est cause de sa mort et de celle des autres, et que M. le Prince a été père uniquement dans cette occasion, et point du tout général d’armée. Je disais hier, et l’on m’approuva, que, si la guerre continue, M. le Duc[3] sera cause de la mort de M. le Prince ; son amour pour lui passe toutes ses autres passions. La Marans est abîmée ; elle dit qu’elle voit bien qu’on lui cache les nouvelles, et qu’avec M. de Longueville, M. le Prince et M. le Duc sont morts aussi ; et qu’on le lui dise, et qu’au nom de Dieu on ne l’épargne point ; qu’aussi bien elle est dans un état qu’il est inutile de ménager. Si l’on pouvait rire, on rirait. Ah ! si elle savait combien peu on songe à lui cacher quelque chose, et combien chacun est occupé de ses douleurs et de ses craintes, elle ne croirait pas qu’on eût tant d’application à la tromper.

Les nouvelles que je vous mande sont d’original ; c’est de Gour-

  1. M. de la Rochefoucauld.
  2. Alexandre de Choiseul, comte du Plessis, fils de César, duc de Choiseul, maréchal de France.
  3. Henri-Jules de Bourbon, fils de M. le Prince.