Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/245

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pauvre femme nous a fait bien pleurer dans cette triste occasion ; et pour moi, qui suis tendre aux larmes, j’en ai beaucoup répandu. Elle mourut hier matin à quatre heures, sans que personne s’en aperçût ; on la trouva morte dans son lit : la veille, elle était extraordinairement mal, et, par inquiétude, elle voulut se lever ; elle était si faible, qu’elle ne pouvait se tenir dans sa chaise, et s’affaissait et coulait jusqu’à terre ; on la relevait. Mademoiselle de la Trousse se flattait, et trouvait que c’était qu’elle avait besoin de nourriture ; elle avait des convulsions à la bouche : ma cousine disait que c’était un embarras que le lait avait fait dans sa bouche et dans ses dents : pour moi, je la trouvais très-mal. À onze heures, elle me fit signe de m’en aller : je lui baisai la main ; elle me donna sa bénédiction, et je partis ; ensuite elle prit son lait, par complaisance pour mademoiselle de la Trousse ; mais, en vérité, elle ne put rien avaler, et elle lui dit qu’elle n’en pouvait plus ; on la recoucha, elle chassa tout le monde, et dit qu’elle s’en allait dormir. À trois heures elle eut besoin de quelque chose, et fit encore signe qu’on la laissât en repos. À quatre heures, on dit à mademoiselle de la Trousse que sa mère dormait ; ma cousine dit qu’il ne fallait pas l’éveiller pour prendre son lait. À cinq heures, elle dit qu’il fallait voir si elle dormait. On approche de son lit, on la trouve morte : on crie, on ouvre les rideaux ; sa fille se jette sur cette pauvre femme, elle la veut réchauffer, ressusciter : elle l’appelle, elle crie, elle se désespère ; enfin on l’arrache, et on la met par force dans une autre chambre : on me vient avertir ; fje cours tout émue ; je trouve cette pauvre tante toute froide, et couchée si à son aise, que je ne crois pas que depuis six mois elle ait eu un moment si doux que celui de sa mort ; elle n’était quasi point changée, à force de l’avoir été auparavant. Je me mis à genoux, et vous pouvez penser si je pleurai abondamment en voyant ce triste spectacle. J’allai voir ensuite mademoiselle de la Trousse, dont la douleur fend les pierres : je les amenai toutes deux ici[1]. Le soir, madame de la Trousse vint prendre ma cousine pour la mener chez elle et à la Trousse dans trois jours, en attendant le retour de M. de la Trousse. Mademoiselle de Méri a couché ici : nous avons été ce matin au service ; elle retourne ce soir chez elle, parce qu’elle le veut ; et me voilà prête à partir. Ne m’écrivez donc plus, ma belle ;

  1. Mademoiselle de la Trousse et mademoiselle de Méri, toutes deux filles de madame de la Trousse.