Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/244

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de ne pas partir, il est très-certain que nous partirons. Laisseznous donc faire, vous savez comme je hais les remords : ce m’eût été un dragon perpétuel que de n’avoir pas rendu les derniers devoirs à ma pauvre tante. Je n’oublie rien de ce que je crois lui devoir dans cette triste occasion.

Je n’ai point vu madame de Longueville ; on ne la voit point ; elle est malade : il y a eu des personnes distinguées, mais je n’en ai pas été, et n’ai point de titre pour cela. Il ne paraît pas que la paix soit si proche que je vous l’avais mandé ; mais il paraît un air d’intelligence partout, et une si grande promptitude à se soumettre, qu’il semble que le roi n’ait qu’à s’approcher d’une ville pour qu’elle se rende à lui. Sans l’excès de bravoure de M. de Longueville, qui lui a causé la mort et à beaucoup d’autres, tout aurait été à souhait ; mais, en vérité, la Hollande entière ne vaut pas un tel prince. N’oubliez pas d’écrire à M. de la Rochefoucauld sur la mort de son chevalier et la blessure de M. de Marsillac ; n’allez pas vous fourvoyer : voilà ce qui l’afflige. Hélas ! je mens ; entre nous, ma fille, il n’a pas senti la perte du chevalier, et il est inconsolable de celui que tout le monde regrette. Il faut écrire aussi au maréchal du Plessis. Tous nos pauvres amis sont encore en santé. Le petit la Troche[1] a passé des premiers à la nage ; on l’a distingué. Si je ne suis encore ici, dites-en un mot à sa mère, cela lui fera plaisir.

Ma pauvre tante me pria l’autre jour, par signes, de vous faire mille amitiés, et de vous dire adieu ; elle nous fit pleurer : elle a été en peine de la pensée de votre maladie ; notre abbé vous en fait mille compliments : il faut que vous lui disiez toujours quelque petite douceur, pour soutenir l’extrême envie qu’il a de vous aller voir. Vous êtes présentement à Grignan ; j’espère que j’y serai à mon tour aussi bien que les autres : hélas ! je suis toute prête. J’admire mon malheur : c’est assez que je désire quelque chose, pour y trouver de l’embarras. Je suis très-contente des soins et de l’amitié du coadjuteur ; je ne lui écrirai point, il m’en aimera mieux : je serai ravie de le voir et de causer avec lui.


106. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 1er juillet (072.

Enfin, ma fille, notre chère tante a fini sa malheureuse vie : la

  1. François-Martin de Savonières de la Troche, alors âgé de seize ans.