Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/259

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magnifiquement, comme une femme qui passe sa vie avec des personnes de qualité ; elle est aimable, belle, bonne, et négligée : on cause fort bien avec elle. Nous revînmes gaiement, à la faveur des lanternes et dans la sûreté des voleurs. Madame d’Heudicourt[1] est allée rendre ses devoirs : il y avait longtemps qu’elle n’avait paru en ce pays-là.

On disait l’autre jour à M. le Dauphin qu’il y avait un homme à Paris qui avait fait pour chef-d’œuvre un petit chariot traîné par des puces. M. le Dauphin dit à M. le prince de Conti : Mon cousin, qui est-ce qui a fait les harnais ? Quelque araignée du voisinage, dit le prince. Cela n’est-il pas joli ? Ces pauvres filles (de la reine) sont toujours dispersées : on parle de faire des dames du palais, du lit, de la table, pour servir au lieu des filles. Tout cela se réduira à quatre du palais, qui seront, à ce qu’on croit, la princesse d’Harcourt, madame de Soubise, madame de Bouillon, madame de Rochefort ; et rien n’est encore assuré. Adieu, ma très-aimable.

Madame de Coulanges vous embrasse : elle voulait vous écrire aujourd’hui ; elle ne perd pas une occasion de vous rendre service ; elle y est appliquée, et tout ce qu’elle dit est d’un style qui plaît infiniment : elle se réjouit de la prise d’Orange ; elle va quelquefois à la cour, et jamais sans avoir dit quelque chose d’agréable pour nous.


116. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, vendredi 8 décembre 1673.

Il faut commencer, ma chère enfant, par la mort du comte de Guiche : voilà de quoi il est question présentement. Ce pauvre garçon est mort de maladie et de langueur dans l’armée de M. de ïurenne ; la nouvelle en vint mardi matin. Le père Bourdaloue^ l’a annoncée au maréchal de Gramont, qui s’en douta, sachant l’extrémité de son fils. Il fit sortir tout le monde de sa chambre ; il était dans un petit appartement qu’il a au dehors des Capucines : quand il fut seul avec ce père, il se jeta à son cou, disant qu’il devinait bien ce qu’il avait à lui dire ; que c’était le coup de sa mort, qu’il le recevait -de la main de Dieu ; qu’il perdait le seul et véritable objet de toute sa tendresse et de toute son inclination natu

  1. Bonne de Pons, marquise d’Heudicourt.