Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/26

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insipides ou ridicules. Mais, comme on le voit par ses lettres, ces temps d’exil n’avaient rien de rude pour elle. Le plus grand de ses plaisirs, la consolation inépuisable de sa vie, la suivait partout : c’était cette correspondance de tous les jours qu’elle entretenait avec sa fille adorée. D’ailleurs elle avait des amis dont la société ne lui manquait nulle part : c’étaient ses livres chéris, Virgile, Montaigne, Molière ; surtout Pascal, qu’elle mettait de moitié à tout ce qui est beau ; Arnauld et Nicolle dont le beau langage la séduisait aux opinions de Port-Royal ; et le grand Corneille, qui la transportait d’admiration au point delà rendre injuste pour Racine. À ce goût sérieux et passionné pour l’étude, elle joignait une autre ressource non-moins sûre contre l’ennui : c’était ce vif amour des beautés de la nature, qu’on a eu raison de remarquer comme un des traits caractéristiques de son génie. Dans le site pittoresque au milieu duquel s’élevait sa demeure, dans les bois séculaires qui l’entouraient, elle trouvait toujours de quoi charmer ses yeux et occuper sa pensée. Elle en parle sans cesse, elle nous les représente sous tous les aspects que leur donnaient les changements des saisons et les diverses heures du jour, avec une admiration naïve et poétique qui surprend, dans cette époque si peu soucieuse des champs et des plaisirs simples qu’ils procurent, si exclusivement éblouie par l’élégance de la vie sociale et le luxe des cours. C’est une surprise analogue à celle qu’on éprouve souvent en lisant la Fontaine, mais plus vive peut-être, parce qu’on s’attendait moins à trouver ce sentiment si vrai, si passionné des grâces négligées ou des magnificences sauvages de la nature, chez la grande dame élevée par le monde et pour le monde, sans cesse mêlée aux plaisirs d’une société exquise, où elle avait une place si brillante, que chez le poète indépendant et rêveur, habitué à s’inspirer du spectacle des champs et des bois, où d’ailleurs il cherchait ordinairement ses modèles.

Madame de Sévigné, parvenue à la vieillesse, fit en Provence, dans l’année 1694, un voyage qui fut le dernier. La famille des Grignan venait de célébrer sous ses yeux un double mariage, celui de son petit-fils avec la fille d’un fermier général [1], et celui de sa petite-fille, de cette charmante Pauline dont elle avait commencé l’éducation, avec le marquis de Simiane ; quand madame

  1. C’était une mésalliance ; mais, disait madame de Grignan, il faut bien quelquefois fumer ses terres.