Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/27

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de Grignan, dont la santé donnait des craintes depuis plusieurs années, fut atteinte d’une maladie qui pendant quelque temps mit ses jours en péril. Madame de Sévigné, dans cette circonstance, ressentit avec tant de force les émotions d’une mère tendre, et en remplit les devoirs avec tant d’ardeur, que sa santé, jusque-là excellente, en fut gravement altérée. Dans l’instant où madame de Grignan commençait à se rétablir, elle tomba dangereusement malade elle-même : le 10 avril 1696, elle avait cessé de vivre. Le vœu touchant qu’elle avait exprimé plusieurs fois dans ses lettres fut réalisé. On a pu remarquer la lettre qui commence ainsi : & Si j’avais un cœur de cristal, où vous pussiez voir la douleur triste et sensible dont j’ai été pénétrée en voyant comme vous souhaitez que ma vie soit composée de plus d’années que la vôtre, vous connaîtriez bien clairement avec quelle vérité et quelle ardeur je souhaite aussi que la Providence ne dérange point l’ordre de la nature, qui m’a fait naître votre mère et venir en ce monde beaucoup devant vous. C’est la règle et la raison, ma fille, que je parte la première ; et Dieu, pour qui nos cœurs sont ouverts, sait bien avec quelle instance je lui demande que cet ordre s’observe en moi, etc. » Du vivant même de madame de Sévigné, son talent épistolaire était célèbre à la cour et dans le grand monde. Louis XIV avait lu avec intérêt les lettres d’elle qui s’étaient trouvées dans les cassettes du surintendant Fouquet, et celles que Bussy avait entremêlées dans ses Mémoires. Souvent quand une lettre charmante, comme elle en écrivait ^tant, avait été lue par le parent ou l’ami auquel elle s’adressait, celui-ci en parlait, la montrait, la prêtait. Elle n’ignorait point ces indiscrétions, et ne s’y opposait pas. Il y avait ainsi des lettres d’elle qui couraient de main en main, et qu’on désignait par un nom tiré de ce qui en faisait le sujet principal ou le trait le plus saillant. Madame de Coulanges lui écrivait en 1673 : « Je ne veux pas oublier ce qui m’est arrivé ce matin ; on m’a dit : Madame, voilà un laquais de madame de Thianges. J’ai ordonné qu’on le fît entrer. Voici ce qu’il avait à me dire : Madame, c’est de la part de madame de Thianges, qui vous prie de lui envoyer la lettre du cheval de madame de Sévigné, et celle de la prairie »[1]. J’ai dit au laquais que je les porterais à sa maîtresse,

  1. La lettre du cheval n’a pas été conservée. On a celle de la prairie, adressée à M. de Coulanges sous la date du 22 juillet 1671. Madame de Sévigné y raconte plaisamment la désobéissance de son valet Picard, qui n’a point voulu