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123. — DE M. DU SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

À Paris, lundi 5 février 1674.

Il y a aujourd’hui[1] bien des années, ma fille, qu’il vint au monde une créature destinée à vous aimer préférablement à toutes choses : je prie votre imagination de n’aller ni à droite, ni à gauche, cet homme-là, sire, c’était moi-même[2]. Il y eut hier trois ans que j’eus une des plus sensibles douleurs de ma vie ; vous partîtes pour la Provence, où vous êtes encore ; ma lettre serait longue, si je voulais vous expliquer toutes les amertumes que je sentis, et que j’ai senties depuis en conséquence de cette première. Mais revenons : je n’ai point reçu de vos lettres aujourd’hui, je ne sais s’il m’en viendra ; je ne le crois pas, il est trop tard : j’en attendais cependant avec impatience ; je voulais apprendre votre départ d’Aix, afin de pouvoir supputer un peu juste votre retour ; tout le monde m’en assassiné, et je ne sais que répondre. Je ne pense qu’à vous et à votre voyage : si je reçois de vos lettres, après avoir envoyé celle-ci, soyez en repos ; je ferai assurément tout ce que vous me manderez. Je vous écris aujourd’hui un peu plus tôt qu’à l’ordinaire. M. de Corbinelli et mademoiselle de Méri sont ici, qui ont dîné avec moi. Je m’en vais à un petit opéra de Molière, beau-père d’Itier, qui se chante chez Pelissari ; c’est une musique très-parfaite ; M. le Prince, M. le Duc et madame la Duchesse y seront. Je m’en irai peut-être de là souper chez Gourville avec madame de la Fayette, M. le Duc, madame de Thianges, M. de Vivonne, à qui l’on dit adieu et qui s’en va demain. Si cette partie est rompue, j’irai chez madame de Chaulnes ; j’ensuis extrêmement priée par la maîtresse du logis et par les cardinaux de Retz et de Bouillon, qui me l’avaient fait promettre : le premier est dans une extrême impatience de vous voir ; il vous aime chèrement. Voilà une lettre qu’il m’envoie.

On avait cru que mademoiselle de Blois[3] avait la petite vérole, mais cela n’est pas. On ne parle point des nouvelles d’Angleterre ; cela fait juger qu’elles ne sont pas bonnes. Il n’y a eu qu’un bal ou deux à Paris dans tout ce carnaval ; on y a vu quelques masques, mais peu. La tristesse est grande ; les assemblées de Saint-Germain sont des mortifications pour le roi, et seulement pour marquer la cadence du carnaval.

  1. Le 5 février 1627, jour de la naissance de madame de Sévigné.
  2. Vers de Murot dans son épitre au roi François I, pour avoir été desrobé.
  3. Fille du roi et de madame de la Vallière.