Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/273

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Le père Bourdaloue fit un sermon le jour de Notre-Dame, qui transporta tout le monde ; il était d’une force à faire trembler les courtisans, et jamais prédicateur évangélique n’a prêché si hautement ni si généreusement les vérités chrétiennes : il était question de faire voir que toute puissance doit être soumise à la loi, à l’exemple de Notre-Seigneur, qui fut présenté au temple ; enfin, ma fille, cela fut porté au point de la plus haute perfection, et certains endroits furent poussés comme les aurait poussés l’apôtre saint Paul.

L’archevêque de Reims[1] revenait hier fort vite de Saint-Germain, c’était comme un tourbillon : il croit bien être grand seigneur, mais ses gens le croient encore plus que lui. Ils passaient au travers de Nanterre, tra, tra, tra ; ils rencontrent un homme à cheval, gare, gare ! ce pauvre homme veut se ranger, son cheval ne veut pas ; et enfin le carrosse et les six chevaux renversent cul par-dessus tête le pauvre homme et le cheval, et passent par-dessus, et si bien par-dessus, que le carrosse en fut versé et renversé : en même temps l’homme et le cheval, au lieu de s’amuser à être roués et estropiés, se relèvent miraculeusement, remontent l’un sur l’autre, et s’enfuient et courent encore, pendant que les laquais de l’archevêque et le cocher, et l’archevêque même, se mettent à crier : Arrête, arrête ce coquin, qu’on lui donne cent coups ! L’archevêque, en racontant ceci, disait : Si j’avais tenu ce maraud-là, je lui aurais rompu les bras et coupé les oreilles.

Je dînai, hier encore, chez Gourville avec madame de Langeron, madame de la Fayette, madame de Coulanges, Corbinelli, l’abbé Têtu, Briole et mon fils ; votre santé y fut célébrée, et un jour pris pour vous y donner à dîner. Adieu, ma très-chère et très-aimable ; je ne puis vous dire à quel point je vous souhaite. Je m’en vais encore adresser cette lettre à Lyon. J’ai envoyé les deux premières au chamarier ; il me semble que vous y devez être, ou jamais. Je reçois dans ce moment votre lettre du 28, elle me ravit. Ne craignez point, ma bonne, que ma joie se refroidisse. Je ne suis occupée que de cette joie sensible de vous voir, et de vous recevoir, et de vous embrasser avec des sentiments et des manières d’aimer qui sont d’une étoffe au-desssus du commun, et même de ce que l’on estime le plus[2].

  1. M. le Tellier, frère de M. de Louvois.
  2. Madame de Grignan arriva à Paris peu de jours après, et y resta jusqu’à la fin de mai 1675.