Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/285

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colline avec huit ou dix personnes : on tire de loin à l’aventure un malheureux coup de canon, qui le coupe par le milieu du corps, et vous pouvez penser les cris et les pleurs de cette armée : le courrier part à l’instant, il arriva lundi, comme je vous ai dit ; de sorte qu’à une heure l’une de l’autre, le roi eut une lettre de M. de Turenne, et la nouvelle de sa mort. Il est arrivé depuis un gentilhomme de M. deTurenne, qui dit que les armées sont assez près l’une de l’autre ; que M. de Lorges commande à la place de son oncle, et que rien ne peut être comparable à la violente affliction de toute cette armée. Le roi a ordonné en même temps à M. le Duc d’y courir en poste, en attendant M. le Prince, qui doit y aller ; mais comme sa santé est assez mauvaise, et que le chemin est long, tout est à craindre dans cet entre-temps : c’est une cruelle chose que cette fatigue pour M. le Prince ; Dieu veuille qu’il en revienne ! M. de Luxembourg demeure en Flandre pour y commander en chef : les lieutenants généraux de M. le Prince sont MM. de Duras et de la Feuillade. Le maréchal de Créqui demeure où il est. Dès le lendemain de cette nouvelle, M. de Louvois proposa au roi de réparer cette perte en faisant huit généraux au lieu d’un, c’est y gagner[1]. En même temps on fit huit maréchaux de France, savoir : M de Rochefort[2], à qui les autres doivent un remercîment ; MM. de Luxembourg, Duras, la Feuillade, d’Estrades, Navailles, Schomberg et Vivonne ; en voilà huit bien comptés : je vous laisse méditer sur cet endroit. Le grand maître[3] était au désespoir, on l’a fait duc ; mais que lui donne cette dignité ? Il a les honneurs du Louvre par sa charge, il ne passera point au parlement à cause des conséquences ; et sa femme ne veut de tabouret qu’à Bouille[4] : cependant c’est une grâce ; et s’il était veuf, il pourrait épouser quelque jeune veuve. Vous savez la haine du comte de Gramont pour Rochefort ; je le vis hier, il est enragé ; il lui a écrit, et l’a dit au roi. Voici la lettre :

  1. On sait que madame Cornuel appelait ces huit maréchaux de France la monnaie de M. de Turenne.
  2. M. de Louvois, voulant faite M. de Rochefort maréchal de France, n’y pouvait parvenir qu’en proposant les sept autres, qui étaient plus anciens lieutenants généraux que M. de Rochefort.
  3. Le comte du Lude, grand maître de l’artillerie.
  4. Renée-Éléonore de Bouille, première femme du comte du Lude, passait sa vie à Bouille, par un goût singulier qu’elle avait pour lâchasse.