Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/295

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vous n’avez rien par-dessus nous que le soulagement de soupirer tout haut et d’écrire son panégyrique. Nous remarquions une chose, ' c’est que ce n’est pas depuis sa mort que l’on admire la grandeuï de son cœur !, l’étendue de ses lumières et l’élévation de son âme ; tout le monde en était plein pendant sa vie ; et vous pouvez penser ce que fait sa perte par-dessus ce qu’on était déjà ; enfin ne croyez point que cette mort soit ici comme celle des autres. Vous pouvez eu parler tant qu’il vous plaira, sans croire que la dose de votre douleur l’emporte sur la nôtre. Pour son âme, c’est encore un miracle qui vient de l’estime parfaite qu’on avait pour lui ; il n’est pas tombé dans la tête d’aucun dévot qu’elle ne fût pas en bon état : on ne saurait comprendre que le mal et le péché pussent être dans son cœur ; sa conversion si sincère nous a paru comme un baptême ; chacun conte l’innocence de ses mœurs-, la pureté de ses intentions, son humilité éloignée de toute sorte d’affectation, la solide gloire dont il était plein sans faste et sans ostentation, aimant la vertu pour elle-même, sans se soucier de l’approbation des hommes ; une charité généreuse et chrétienne. Vous ai-je dit comme il rhabilla ce régiment anglais ? il lui en coûta quatorze mille francs, et il resta sans argent. Les Anglais ont dit à M. de Lorges qu’ils achèveraient de servir cette campagne, pour venger la mort de M. de Turenne ; mais qu’après cela ils se retireraient, ne pouvant obéir à d’autres que lui. Il y avait de jeunes soldats qui s’impatientaient un peu dans les marais, où ils étaient dans l’eau jusqu’aux genoux ; et les vieux soldats leur disaient : « Quoi ! « vous vous plaignez ! on voit bien que vous ne connaissez pas « M. de Turenne. Il est plus fâché que nous quand nous sommes « mal ; il ne songe, à l’heure qu’il est, qu’à nous tirer d’ici ; il « veille quand nous dormons ; c’est notre père ; on voit bien que « vous êtes jeunes : » et ils les rassuraient ainsi. Tout ce que je vous mande est vrai : je ne me charge point des fadaises dont on croit faire plaisir aux gens éloignés ; c’est abuser d’eux, et je choisis bien plus ce que je vous écris que ce que je vous dirais, si vous étiez ici. Je reviens à son âme : c’est donc une chose à remarquer que nul dévot ne s’est avisé de douter que Dieu ne l’eût reçue à bras ouverts, comme une des plus belles et des meilleures qui soient jamais sorties de ses mains. Méditez sur cette confiance générale de son salut, et vous trouverez que c’est une espèce de miracle qui n’est que pour lui ; enfin personne n’a osé douter de son