Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/296

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repos éternel. Vous verrez dans les nouvelles les effets de cette grande perte.

Le roi a dit d’un certain homme dont vous aimiez assez l’absence cet hiver, qu’il n’avait ni cœur, ni esprit ; rien que cela. Mme de Rohan, avec une poignée de gens, a dissipé et fait fuir les mutins qui s’étaient attroupés dans son duché de Rohan. Les troupes sont à Nantes, commandées par Forbin ; car de Vins est toujours subalterne. L’ordre de Forbin est d’obéir à M. de Chaulnes ; mais comme ce dernier est dans son Fort-Louis, Forbin avance et commande toujours. Vous entendez bien ce que c’est que ces sortes d’honneurs en idée, que l’on laisse sans action à ceux qui commandent. M. de Lavardin avait fort demandé le commandement ; il a été à la tête d’un vieux régiment[1], et prétendait que cet honneur lui était dû ; mais il n’a pas eu contentement. On dit que nos mutins demandent pardon ; je crois qu’on leur pardonnera moyennant quelques pendus. On a ôté M. de Chamillard, qui était odieux à la province, et l’on a donné pour intendant de ces troupes M. de Marillac, qui est fort honnête homme. Ce ne sont plus ces désordres qui m’empêchent de partir, c’est autre chose que je ne veux pas quitter ; je n’ai pu même aller à Livry, quelque envie que j en aie ; il faut prendre le temps comme il vient : on est assez aise d’être au milieu des nouvelles, dans ces terribles temps.

Écoutez, je vous prie, encore un mot de M. de Turenne. Il avait fait connaissance avec un berger qui savait très-bien les chemins et le pays ; il allait seul avec lui, et faisait poster ses troupes selon la connaissance que cet homme lui donnait : il aimait ce berger, et le trouvait d’un sens admirable ; il disait que le colonel Bec était venu comme cela, et qu’il croyait que ce berger ferait sa fortune comme lui. Quand il eut fait passer ses troupes à loisir, il se trouva content, et dit à M. de Roye (son beau-frère) : « Tout de bon, il me semble que cela n’est pas trop mal ; et je crois que M. de Montecuculli trouverait assez bien ce que l’on vient de faire. » Il est vrai que c’était un chef-d’œuvre d’habileté. Madame de Villars a vu une autre relation depuis le jour du combat, où l’on dit que, dans le passage du Rhin, le chevalier de Grignan fit encore des merveilles de valeur et de prudence : Dieu le conserve ! car le courage de M. de Turenne semble être passé à nos ennemis : ils ne trouvent plus rien d’impossible.

  1. Du régiment do Navarre, l’un des six vieux.