Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/298

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il le loue de son extrême valeur ; mais il me semble que le prisonnier soupire ; je ne sais s’il n’est point amoureux : je crois qu’on lui permettra de revenir sur sa parole ; je ne vois pas bien où la princesse l’attend ; et voilà toute l’histoire.

Quand je vous mande des nouvelles, comptez que je les tiens de gens bien informés ; mais ils ne veulent jamais être cités pour les moindres bagatelles. Il y en a d’autres dont je ne prends jamais les nouvelles. Voulez-vous savoir ce que les valets de chambre ont écrit ? Vous devinerez d’abord que ceci vient de l’endroit où vous savez qu’on s’amuse des lettres ridicules. L’un fait inventaire de ce qu’il a perdu, comme son étui, sa tasse, son buffle, son caudebec. « C’était, dit-il, un désordre du diable ; ma foi, si j’avais été « général, cela ne serait pas arrivé. » Un autre dit : « Nous avons « été joliment téméraires ; nous n’étions que sept mille hommes, « nous en avons attaqué vingt-six-mille ; aussi faut voir comme « nous avons été frottés. » Un autre dit : « Nous nous sommes sauvés le plus diligemment que nous avons pu ; et si nous n’avons pas « laissé d’avoir grand’peur. » Il faut avoir, mon enfant, un étrange loisir pour vous conter toutes ces sottises.

Vous parlez si dignement du cardinal de Retz et de sa retraite, que pour cela seul vous seriez digne de son estime et de son amitié. Je vois des gens qui disent qu’il devrait venir à Saint-Denis, et ce sont ceux-là même qui trouveraient le plus à redire, s’il y venait. On voudrait, à quelque prix que ce fût, ternir la beauté de son action ; mais j’en défie la plus fine jalousie. Ce que vous dites de M. de Turenne mérite d’entrer dans son panégyrique : le cardinal de Bouillon en aura le plaisir ou le déplaisir, car je suis bien sûre qu’il ne lira point cet endroit de votre lettre sans pleurer. Depuis la mort du héros de la guerre, celui du bréviaire s’est retiré à Commerci ; il n’y avait plus de sûreté à Saint-Mihiel. Le premier président de la cour des aides a une terre en Champagne ; son fermier lui vint signifier l’autre jour, ou de la rabaisser considérablement, ou de rompre le bail qui en fut fait il y a deux ans : on lui demande pourquoi, on dit que ce n’est point la coutume ; il répond que, du temps de M. de Turenne, on pouvait recueillir avec sûreté, et compter sur les terres de ce pays-là ; mais que, depuis sa mort, tout le monde quittait, croyant que les ennemis vont entrer en Champagne. Voilà des choses simples et naturelles qui font son éloge aussi magnifiquement que les Fléchier et les Mascaron.