Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/308

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de change à envoyer ; car il faut connaître les talents. Vous ne manquerez pas de nouvelles ; la bonne Troche vous mandera les grandes ; mais, comme vous dites, tout va bien ; il n’y aura que douceur et agrément dans le reste de cette année : comprenez un peu ce que c’est que ce grand prince de Condé, qui se retire, qui se retranche, et qui envisage le mois d’octobre et la goutte. M. de Lorraine ne voulait point qu’on s’amusât au siège de Trêves, et disait : « Vous y périrez, messieurs ; songez qu’il y a quatre mille hommes dans Trêves, et un maréchal de France en colère. » En effet, ce maréchal fait des miracles ; il nettoie la tranchée tous les deux ou trois jours avec une propreté extraordinaire : mais enfin, mes belles, rien n’est imprenable, il faudra se rendre. La maréchale (de Créqui) dit toujours que M. de Sanzei est dans Trêves ; je ne le crois point du tout : ce serait une belle chose si, pendant que sa femme le pleure d’un côté, et refuse l’espérance de le trouver dans cette place assiégée, elle allait apprendre qu’il y eût été tué !

Je dis hier adieu à M. de la Garde ; s’il vous embrasse, laissezle faire, c’est pour moi : je l’aime beaucoup ; profitez bien de son bon esprit. Je vous exhorte, ma chère enfant, à conserver votre santé, si vous m’aimez. J’entends que vous me dites la même chose, et je vous assure que je le ferai dans la vue de vous plaire : ne vous amusez point à vous inquiéter en l’air, cela n’est point de votre bon esprit ; conservez bien votre courage, et m’en envoyez un peu dans vos lettres : c’est une bonne provision dans cette vie ; parlez-moi beaucoup de vous : tous les détails sont admirables, quand l’amitié est à un certain point.

Écrivez à notre cher cardinal : savez-vous bien que vous n’avez pas pensé droit sur la cassolette, et qu’il a été piqué de la hauteur dont vous avez traité cette dernière marque de son amitié ? Assuv rément, vous avez outré les beaux sentiments ; ce n’est pas là, ma fille, où vous devez sentir l’horreur d’un présent d’argenterie : vous ne trouverez personne de votre sentiment, et vous devez vous délier de vous, quand vous êtes seule de votre avis.

Hier au soir je dis adieu au plus beau de tous les prélats[1] ; il me pria de lui prêter mon portrait, c’est-à-dire le vôtre, pour le porter chez madame de Fontevrault ; je le refusai rabutinemenf, et lui dis que je l’avais refusé à Mademoiselle : et en même temps je le portai moi-même dans une petite chambre, où il fut

  1. C’est le bel abbé de Grignan.