Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/309

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placé et reçu avec tendresse et envie de me plaire : je suis sûre qu’on ne l’en tirera pas ; on sait trop bien ce que c’est pour moi que cette charmante peinture ; et si on vient le demander ici, on dira que je L’ai emporté : M. de Coulanges vous apprendra où il est. M. de Pomponne le voulut voir l’autre jour ; il lui parlait, et croyait que vous deviez répondre, et qu’il y avait de la gloire[1] à votre fait : votre absence a augmenté la ressemblance ; et ce n’est pas ce qui m’a le moins coûté à quitter.

Nous avons ri aux larmes de votre madame de la Charce et de Philis, sa fille aînée, âgée de trente-neuf ans ; je la vois d’ici. Que voulez-vous dire, que vous ne narrez point bien ? Il n’y a chose au monde si plaisamment contée, et personne n’écrit si agréablement ; mais il faut pleurer d’être dans un pays où l’on porte le deuil si burlesquement. Je vous remercie de la peine que vous avez prise de narrer cette folie : c’est un style que vous n’aimez pas, mais il m’a bien réjouie : M. de Coulanges vous en parlera. Il lut cet endroit en perfection. Il me semble que je n’ai plus rien à dire : qu’on me mène aux Rochers, je neveux plus écrire ; allons, l’abbé, c’est fait[2] : je vais partir, belle comtesse ; adieu donc ma très-chère comtesse :

Je vais partir, belle Hermione[3] Je vais exécuter ce que l’abbé m’ordonne, Malgré le péril qui m’attend.

C’est pour dire une folie ; car notre province est plus calme que la Saône.

On fait présentement à Notre-Dame le service de M. de Turenne en grande pompe. Le cardinal de Bouillon et madame d’Elbeuf vinrent hier mêle proposer ; mais je me contente de celui de Saint-Denis, je n’en ai jamais vu un si bon. N’admirez-vous point ce que fait la mort de ce héros, et la face que prennent les affaires, depuis que nous ne l’avons plus ? Ah ! ma chère enfant, qu’il y a longtemps que je suis de votre avis ! rien n’est bon que d’avoir une belle et bonne âme : on la voit en toute chose comme au travers d’un cœur de cristal : on ne se cache point ; vous n’avez point vu de dupes là

  1. Gloire est pris ici pour orgueil.
  2. Parodie de ces vers de Corneille dans Polyeucte, acte IV, scène IV :
    Qu’on me mène à la mort, je n’ai plus rien à dire.
    Allons, gardes, c’est fait.
  3. Parodie de l’adieu de Cadmus, dans l’opéra de Quinault.