Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/320

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pour des affaires ; mais que ce n’est pas assez pour s n amitié 5 « et qu’il augmenterait plutôt d’une lettre que d’en retrancher une. Vous jugez bien que, puisque le régime que je lui avais ordonné ne lui plaît pas, je lâche la bride à toutes ses bontés, et lui laisse la liberté de son écritoire : songez qu’il écrit de cette furie à tout ce qui est hors de Paris, et voit tous les jours tout ce qui y reste ; ce sont les cCHacqueville ; adressez-vous à eux, ma fille, en toute confiance : leurs bons cœurs suffisent à tout. Je me veux donc ôter de l’esprit de les ménager ; j’en veux abuser ; aussi bien, si ce n’est moi qui le tue, ce sera un autre : il n’aime que ceux dont il est accablé : accablons-le donc sans ménagement.

Je voudrais que vous vissiez de quelle beauté ces bois sont présentement. Madame de ïarente y fut hier tout le jour ; il faisait un temps admirable : elle me parla fort de vous : elle vous trouve bien plus jolie que le petit ami[1]« : sa fille est malade ; elle en était triste ; je la mis en carrosse au bout de la grande allée ; et comme elle me priait fort de me retirer, elle me dit : Madame, vous me prenez pour une Allemande. Je lui dis : « Oui, madame, assurément, « je vous prends pour une Allemande[2] : j’aurais plutôt obéi à madame votre belle-fille[3]. » Elle entendit cela comme une Française. Il est vrai que sa naissance doit, ce me semble, donner une dose de respect à ceux qui savent vivre. Elle a un style romanesque dans ce qu’elle conte, et je suis étonnée que cela déplaise à ceux même qui aiment les romans : elle attend madame de Chaulnes. M. de Chaulnes est à Rennes avec les Forbin et les Vins, et quatre mille hommes : on croit qu’il y aura bien de la penderie. M. de Chaulnes y a été reçu comme le roi ; mais comme c’est la crainte, quia fait changer leur langage, M. de Chaulnes n’oublie pas toutes les injures qu’on lui a dites, dont la plus douce et la plus familière était gros cochon, sans compter les pierres dans sa maison et dans son jardin, et des menaces dont il paraissait que Dieu seul empêchait l’exécution ; c’est cela qu’on va punir. D’Hacqueville, de sa propre main (car ce n’est point dans son billet de nouvelles qu’on pourrait avoir copié), me mande que M. de Chaulnes, suivi de ses troupes, est arrivé 9 Rennes le samedi 12 octobre : je l’ai remercié de ce soin, et je lui apprends que M. de Pomponne se fait

  1. Le portrait en miniature de madame de Grignan.
  2. Madame de Tarente était fille de Guillaume V, landgrave de Kesse-Cassel.
  3. Madeleine de Créqui, duchesse de la Trémouille.