Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/319

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une année de subsistance ; Dieu prendra soin des autres ; continuez votre attention sur votre dépense ; cela ne remplit point les grandes brèches, mais cela aide à la douceur présente, et c’est beaucoup. M. de Grignan est-il sage ? Je l’embrasse dans cette espérance, ma très-bonne, et je suis entièrement à vous.


145. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 16 octobre 1675.

Je ne suis point entêtée, ma fille, de M. de Lavardin ; je le vois tel qu’il est : ses plaisanteries et ses manières ne me charment point du tout ; je les vois, comme j’ai toujours fait : mais je suis assez juste pour rendre au vrai mérite ce qui lui appartient, quoique je le trouve pêle-mêle avec quelques désagréments ; c’est à ses bonnes qualités que je me suis solidement attachée, et, par bonheur, je vous en avais parlé à Paris ; car, sans cela, vous croiriez que l’enthousiasme d’une bonne réception m’aurait enivrée ; enfin je souhaiterai toujours à ceux que j’aimerai plus de charmes ; mais je me contenterai qu’ils aient autant de vertus. C’est le moins lâche et le moins bas courtisan que j’aie jamais vu ; vous aimeriez bien son style dans de certains endroits, vous qui parlez : tant y a, ma fille, voilà ma justification, dont vous ferez part au gros abbé, si jamais, par hasard, il a mal au gras des jambes[1] sur ce sujet.

Je suis fort aise que vous ayez remarqué, comme moi, la diligence admirable de nos lettres, et le beau procédé de Maux[2], et de ces autres messieurs si obligeants, qui viennent prendre nos lettres, et les portent nuit et jour, en courant de toutes leurs forces, pour les faire aller plus promptement : je vous dis que nous sommes ingrats envers les postillons, et même envers M. de Louvois[3], qui les établit partout avec tant de soin. Mais quoi ! ma très-chère, nous nous éloignons encore ; et toutes nos admirations vont cesser : quand je songe que, dans votre dernière lettre, vous répondez encore à celle que je vous écrivis de la Silleraye, et qu’il y aura demain trois semaines que je suis aux Rochers, je comprends que nous étions déjà assez loin, sans cette augmentation.

D’Hacqueville me dit qu’une fois la semaine, c’est assez écrire

  1. Expression familière de l’abbé de Pontcarré, lorsqu’il était importuné de quelque discours.
  2. Courrier de la malle.
  3. Surintendant-général des postes.