Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/322

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grie ? Elle est divine : pour moi, je vous en remercie encore ; je m’en enivre tous les jours : j’en ai dans ma poche ; c’est une folie comme du tabac : quand on y est accoutumé, on ne peut plus s’en passer : je la trouve excellente contre la tristesse ; j’en mets le soir, plus pour me réjouir que pour le serein, dont mes bois me garantissent. Vous êtes trop bonne de craindre que les loups, les cochons et les châtaignes ne m’y fassent une insulte. Adieu, mon enfant, je vous aime de tout mon cœur ; mais c’est au pied de la lettre, et sans en rien rabattre.


146. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, dimanche 3 novembre 1675.

Je suis fort occupée de toutes vos affaires de Provence ; et si vous prenez intérêt à celles de Danemark, j’en prends bien davantage à celles de Lambesc. J’attends l’effet de cette défense qu’on devait faire au parlement d’envoyer à la maison de ville : j’attends la nomination du procureur du pays, et le succès du voyage du consul, qui veut être noble par ordre du roi. J’ai fort ri de ce premier président, et des effets de sa jalousie : on lui faisait une grande injustice de croire qu’un homme élevé à Paris ne sût pas vivre, et ne donnât pas plutôt une bonne couple de soufflets que des coups de plat d’épée : je suis bien étonnée qu’il soit jaloux de ce petit garçon qui sentait le tabac ; il n’y a personne qui ne soit dangereux pour quelqu’un : il me semble que le vin des Bretons figure avec le tabac des Provençaux.

J’admire toujours qu’on puisse prononcer une harangue sans manquer et sans se troubler, quand tout le monde a les yeux sur vous, et qu’il se fait un grand silence. Ceci est pour vous, M. le comte, je me réjouis que vous possédiez cette hardiesse, qui est si fort au-dessus de mes forces : mais, ma fille, c’est du bien perdu, que de parler si agréablement, puisqu’il n’y a personne. Je suis piquée, comme vous, que l’intendant et les évêques ne soient point à l’ouverture de cette assemblée : je ne trouve rien de plus indigne ni de moins respectueux pour le roi, et pour celui qui a l’honneur de le représenter[1]. Si l’on attend que M. de Marseille soit revenu de ses ambassades, on attendra longtemps ; car apparemment il

  1. Il avait été décidé que le lieutenant général qui représentait le roi aurait le pas sur les évêques dans les états des provinces ; et depuis cette décision les évêques s’abstenaient souvent d’y assister.