Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/324

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que c’est votre faute, car il avait trop d’esprit pour n’être pas toujours fort joli : vous ne comprenez point encore trop bien l’amour maternel ; tant mieux, ma fille, il est violent ; mais, à moins que d’avoir des raisons comme moi, ce qui ne se rencontre pas souvent, on peut à merveille se dispenser de cet excès. Quand je serai à Paris, nous parlerons de nous revoir ; c’est un désir et une espérance qui me soutiennent la vie.

Adieu, ma très-chère ; je serai ravie, aussi bien que vous, que nous puissions nous allier peut-être aux Machabées : mais cela ne va pas bien, je souhaite que votre lecture aille mieux : ce serait une honte dont vous ne pourriez pas vous laver, de ne pas finir Josèphe. Hélas ! si vous saviez ce que j’achève, et ce que je souffre du style du jésuite (Maimbourg), vous vous trouveriez bien heureuse d’avoir à finir un si beau livre !


147. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 13 novembre 1675.

Les voilà toutes deux, ma très-chère ; il me paraît que je les aurais reçues règlement comme à l’ordinaire, sans que Ripert m’a retardé d’un jour par son voyage de Versailles. Quelque goût que vous ayez pour mes lettres, elles ne peuvent jamais vous être ce que les vôtres me sont ; et puisque Dieu veut qu elles soient présentement ma seule consolation, je suis heureuse d’y être très-sensible : mais en vérité, ma fille, il est douloureux d’en recevoir si longtemps, et cependant la vie se passe sans jouir d’une présence si chère : je ne puis m’accoutumer à cette dureté ; toutes mes pensées et toutes mes rêveries en sont noircies ; il me faudrait un courage que je n’ai pas, pour m’accommoder d’une si extraordinaire destinée : j’ai regret à tous mes jours qui s’en vont, et qui m’entraînent sans que j’aie le temps d’être avec vous ; je regrette ma vie, et je sens pourtant que je la quitterais avec moins de peine, puisque tout est si mal rangé pour me la rendre agréable : dans ces pensées, ma très-chère, on pleure quelquefois sans vous le dire, et je mériterai vos sermons malgré moi, et plus souvent que je ne voudrai ; car ce n’est jamais volontairement que je me jette dans ces tristes méditations : elles se trouvent tout naturellement dans mon cœur, et je n’ai pas l’esprit de m’en tirer. Je suis au désespoir, ma fille, de n’avoir pas été maîtresse aujourd’hui d’un sentiment si vif ; je n’ai pas accoutumé de m’y abandonner. Parlons d’autre chose : c’est