Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/330

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tement plantée ici. Madame de la Fayette vous rend vos honnêtetés ; sa santé n’est pas bonne, mais celle de M. de Limoges[1] est encore pire : il a remis au roi tous ses bénéfices ; je crois que son fils, c’est-à-dire l’abbé de la Fayette, en aura une abbaye. Voilà la pauvre Gascogne bien malmenée, aussi bien que nous. On nous envoie encore six mille hommes pour passer l’hiver : si les provinces ne faisaient rien de mal à propos, on serait assez embarrassé de toutes ces troupes. Je ne crois point que la paix soit si proche : vous souvient-il de tous les raisonnements qu’on faisait sur la guerre, et comme il devait y avoir bien des gens tués ? C’est une prophétie qu’on peut toujours faire sûrement, aussi bien que celle que vos lettres ne m’ennuieront certainement point, quelque longues qu’elles soient : ah ! vous pouvez l’espérer sans chimère ; c’est ma délicieuse lecture. Rippert vous porte un troisième petit tome des Essais de morale, qui me paraît digne de vous : je n’ai jamais vu une force et une énergie comme il y en a dans le style de ces gens-là : nous savons tous les mots dont ils se servent ; mais jamais, ce me semble, nous ne les avons vus si bien placés ni si bien enchâssés. Le matin, je lis l’Histoire de France ; l’après-dînée, un petit livre dans les bois, comme ces Essais, la vie de saint Thomas de Cantorbéry, que je trouve admirable, ou les Iconoclastes ; et le soir, tout ce qu’il y a de plus grosse impression : je n’ai point d’autre règle. Ne lisez-vous pas toujours Josèphe ? prenez courage, ma fille, et finissez miraculeusement[2] cette histoire. Si vous prenez les Croisades, vous y verrez deux de vos grands-pères, et pas un de la grande maison de V.... ; mais je suis sûre qu’à certains endroits vous jetterez le livre par la place, et maudirez le jésuite[3] ; et cependant l’histoire est admirable.

La bonne Troche fait très-bien son devoir ; je n’ai guère d’obligation de ce que l’on fait pour vous. La princesse et moi, nous ravaudions l’autre jour dans des paperasses de feu madame de la Trémouille ; il y a mille vers : nous trouvâmes une infinité de portraits, entre autres celui que madame de la Fayette fit de moi

  1. François de la Fayette, évêque de Limoges, premier aumônier de la reine Anne d’Autriche ; il était oncle du mari de madame de la Fayette.
  2. Madame de Grignan avait de la peine à achever la lecture des ouvrages de longue haleine.
  3. Le père Maimbourg, auteur de l’Histoire des Croisades. Le médecin des Lettres persanes donne, pour remède contre l’asthme, de lire tous les ouvra ges de ce père, en ne s’arrêtant qu’à la fin de chaque période.