Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/331

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sons le nom d’un inconnu[1] ; il vaut mieux que moi : mais ceux qui m’eussent aimée, il y a seize ans, l’auraient pu trouver ressemblant. Que puis-je répondre, ma très-chère, aux trop aimables tendresses que vous me dites, sinon que je suis tout entière à vous, et que votre amitié est la chose du monde qui me touche le plus ?


149. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, mercredi 4 décembre 1675.

Voici le jour que j’écris sur la pointe d’une aiguille ; car je ne recois plus vos lettres que deux à la fois le vendredi. Comme je venais de me promener avant-hier, je trouvai au bout du mail le frater, qui se mit à deux genoux aussitôt qu’il m’aperçut, se sentant si coupable d’avoir été trois semaines sous terre à chanter matines, qu’il ne croyait pas me pouvoir aborder d’une autre façon. J’avais bien résolu de le gronder, et je ne sus jamais où trouver de la colère ; je fus fort aise de le voir ; vous savez comme il est divertissant ; il m’embrassa mille fois ; il me donna les plus méchantes raisons du monde, que je pris pour bonnes : nous causons fort, nous lisons, nous nous promenons, et nous achèverons ainsi l’année, c’est-à-dire le reste. Nous avons résolu d’offrir notre chien de guidon, et de souffrir encore quelque supplément, selon que le roi l’ordonnera : si le chevalier de Lauzun[2] veut vendre sa charge entière, nous le laisserons trouver des marchands de son côté, comme nous en chercherons du nôtre, et nous verrons alors à nous accommoder.

IS’ous sommes toujours dans la tristesse des troupes qui nous arrivent de tous côtés avec M. de Pommereuil : ce coup est rude pour les grands officiers ; ils sont mortifiés à leur tour, c’est-à-dire le gouverneur, qui ne s’attendait pas à une si mauvaise réponse sur le présent de trois millions. M. de Saint-Malo est revenu ; il a été mal reçu aux états : on l’accuse fort d’avoir fait une méchante manœuvre à Saint-Germain ; il devait au moins demeurer à la cour, après avoir mandé ce malheur en Bretagne, pour tâcher de ménager quelque accommodement. Pour M. de Rohan, il est enragé, et n’est point encore revenu ; peut-être qu’il ne reviendra pas. M. de Coulanges me mande qu’il a vu le chevalier de Grignan, qui s’accommode mal de mon absence : je suis plus tou

  1. Voyez ce portrait au commencement du volume.
  2. François de Nompar de Caumont.