Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/333

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car je ne compte jamais que vous m’ayez oubliée. Celle confiance est juste, et je suis assurée qu’elle vous plaît ; mais comme les pensées noires voltigent assez dans ces bois, j’ai d’abord voulu être en peine de vous ; mais le bon abbé et mon fils m’assurent que vous m’auriez fait écrire. Je ne veux point demeurer sur cette crainte, elle est trop insupportable : je veux me prendre à la poste de tout, quoique je ne comprenne rien à l’excès de ce dérèglement, et espérer demain de vos nouvelles ; je les souhaite avec l’impatience que vous pouvez vous imaginer.

D’Hacqueville est enrhumé avec la fièvre ; j’en suis en peine, car je n’aime la fièvre à rien : on dit qu’elle consume, mais c’est la vie. Quoiqu’on dise les d’ Hacqueville, il n’y en a, en vérité, qu’un au monde comme le nôtre. N’a-t-il point déjà commencé de vous parler d’un voyage incertain que le roi doit faire en Champagne ou en Picardie ? Depuis que ses gens, pour notre malheur, ont commencé à répandre une nouvelle de cet agrément, c’est pour trois mois ; il faut voir aussi ce que je fais de cette feuille volante qui s’appelle les Nouvelles. Pour la lettre de d’Hacqueville, elle est tellement pleine de mon fils, et de ma fille, et de notre pauvre Bretagne, qu’il faudrait être dénaturée pour ne se pas crever les yeux à la déchiffrer[1]. M. de Lavardin est mon résident aux états ; il m’instruit de tout ; et comme nous mêlons quelquefois de l’italien dans nos lettres, je lui avais mandé, pour lui expliquer mon repos et ma paresse ici :

D’ogni oltraggio, e scorno
La miafamiglia, e la mia greggia illesc
Sempre qui fur, ne strepito di Marte,
Ancor turbo questa remota parte[2].

À peine ma lettre a-t-elle été partie, qu’il est arrivé à Vitré huit cents cavaliers, dont la princesse est bien mal contente. Il est vrai qu’ils ne font que passer ; mais ils vivent, ma foi, comme dans un pays de conquête, nonobstant notre bon mariage avec Charles VIII et Louis XII[3]. Les députés sont revenus de Paris. M. de Saint-Malo, qui est Guémadeuc, votre parent, et sur le tout une linotte mitrée, comme disait madame de Choisy, a paru aux états, transporté et plein des bontés du roi, et surtout des honnêtetés par

  1. L’écriture de M. d’Hacqueville était très-difficile à lire.
  2. Gerusalemme liberata, canto VII, st., 8.
  3. Le mariage d’Anne, duchesse de Bretagne, qui, ayant épousé Charles VIII, et ensuite Louis XII, son successeur, réunit ce duché à la France.