Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/335

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ce que l’on pense ; il ne me fait nulle horreur. Mon fils me fait ici une fort bonne compagnie, et il trouve que j’en suis une aussi ; il n’y a nul air de maternité à notre affaire ; la princesse en est étonnée, elle qui counaît des enfants qui n’ont point d’âme dans le corps. Elle est bien affligée des troupes qui sont arrivées à Vitré ; elle espérait, avec raison, d’être exemptée : mais cependant voilà un bon régiment dans sa ville : c’était une chose plaisante si c’eût été le régiment de Grignan ; mais savez-vous qu’il est à la Trinité, c’est-à-dire à Bodégat[1] ? J’ai écrit au chevalier (de Grignan), non pas pour rien déranger, car tout est réglé, mais afin que l’on traite doucement et honnêtement mon fermier, mon procureur fiscal et mon sénéchal ; cela ne coûtera rien, et me fera grand honneur : cette terre m’est destinée, à cause de votre partage.

Si je vois ici le Castellane[2], je le recevrai fort bien ; son nom et le lieu où il a passé l’été me le rendront considérable. L’affaire de mon président va bien ; il se dispose à me donner de l’argent : voilà une des affaires que j’avais ici. Celle qu’entreprend l’abbé de la Vergne est digne de lui : vous me le représentez un fort honnête homme.

Ne voulez-vous point lire les Essais de morale, et m’en dire votre avis ? Pour moi, j’en suis charmée ; mais je le suis fort aussi de l’oraison funèbre de M. de Turenne ; il y a des endroits qui doivent avoir fait pleurer tous les assistants : je ne doute pas qu’on ne vous l’ait envoyée ; mandez-moi si vous ne la trouvez pas très-belle. Ne voulez-vous point achever Josèphe ? Nous lisons beaucoup, et du sérieux, et des folies, et de la fable, et de l’histoire. Nous nous faisons tant d’affaires, que nous n’avons pas le temps de nous tourner. On nous plaint à Paris, on croit que nous sommes au coin de notre feu à mourir d’ennui et à ne pas voir le jour : mais, ma fille, je me promène, je m’amuse ; ces bois n’ont rien d’affreux ; ce n’est pas d’être ici ou de n’être pas à Paris qu’il faut me plaindre. M. de Coulanges espère beaucoup d’une conversation que sa femme à eue avec M. de Louvois : s’ils avaient l’intendance de Lyon, conjointement avec le beau-père, ce serait un grand bonheur. Voilà le monde ; ils ne travaillent que pour s’établir à cent lieues de Paris.

Vous me paraissez avoir bien envie d’aller à Grignan ; c’est un grand tracas : mais vous recevrez mes conseils quand vous en serez revenue. Ces compliments pour ces deux hommes qui sont chez

  1. Terre qui appartenait à la maison de Sévigné.
  2. Un parent de M. de Grignan.