Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/336

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eux il y a plus d’un mois, m’ont fait rire. La longueur de nos réponses effraye, et fait bien comprendre l’horrible distance qui est entre nous : ah ! ma fille, que je la sens, et qu’elle fait bien toute la tristesse de ma vie ! Sans cela, ne serais-je point trop heureuse avec un joli garçon comme celui que j’ai ? il vous dira lui-même s’il ne souffre pas d’être éloigné de vous. : mais je l’attends, il n’est point encore arrivé ; s’il se divertit, il est bien. Adieu, ma très-chère et très-aimable et très-parfaitement aimée. Parlez-moi de votre santé et de votre beau temps, tout cela me plaît. J’embrasse M. de Grignan, quand ce serait ce troisième jour de barbe épineuse et cruelle ; on ne peut s’exposer de meilleure grâce.


152. — DE Mme DE SÉVIGNÉ À Mme DE GRIGNAN.

Aux Rochers, le premier jour deFan 1676.

Nous voici donc à l’année qui vient, comme disait M. de Montbazon : ma très-chère, je vous la souhaite heureuse ; et si vous croyez que la continuation de mon amitié entre dans la composition de ce bonheur, vous pouvez y compter sûrement.

Voilà une lettre de d’Hacqueville, qui vous apprendra l’agréable succès de nos affaires de Provence ; il surpasse de beaucoup mes espérances : vous aurez vu à quoi je me bornais par les lettres que je reçus il y a peu de jours, et que je vous envoyai. Voilà donc cette grande épine hors du pied, voilà cette caverne de larrons détruite ; voilà l’ombre de M. de Marseille conjurée, voilà le crédit de la cabale évanoui, voilà l’insolence terrassée : j’en dirais d’ici à demain. Mais, au nom de Dieu, soyez modestes dans vos victoires : voyez ce que dit le bon d’Hacqueville, la politique et la générosité vous y obligent. Vous verrez aussi comme je trahis son secret pour vous, par le plaisir de vous faire voir le dessous des cartes, qu’il a dessein de vous cacher à vous-même : mais je ne veux point laisser équivoques dans votre cœur les sentiments que vous devez avoir pour l’ami et pour la belle-sœur[1], car il me paraît qu’ils ont fait encore au delà de ce qu’on m’en écrit, et ; pour toute récompense, ils ne veulent aucun remercîment. Servez-les donc à leur mode, et jouissez en silence de leur véritable et solide amitié. Gardez-vous bien de lâcher le moindre mot qui puisse faire connaître au bon d’Hacqueville que je vous ai envoyé sa lettre ; vous le connaissez, la rigueur de son exactitude ne comprendrait

  1. M. de Pomponne et madame de Vins.