Page:Sévigné - Lettres choisies, Didot, 1846.djvu/339

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Cette ressemblance de la charité avec l’amour-propre, et de la modestie héroïque de M. de Turenne et de M. le Prince avec l’humilité du christianisme.... Mais je m’arrête, il faudrait louer cet ouvrage depuis un bout jusqu’à l’autre, et ce serait une bizarre lettre. En un mot, je suis fort aise qu’il vous plaise, et j’en estime mon goût. Pour Josèphe, vous n’aimez pas sa vie ; c’est assez que vous ayez approuvé ses actions et son histoire : n’avez-vous pas trouvé qu’il jouait d’un grand bonheur dans cette cave, où ils tiraient à qui se poignarderait le dernier ?

Nous avons ri aux larmes de cette fille qui chanta tout haut dans l’église cette chanson déshounête dont elle se confessait ; rien au monde n’est plus nouveau ni plus plaisant : je trouve qu’elle avait raison ; assurément le confesseur voulait entendre la chanson, puisqu’il ne se contentait pas de ce que la fille lui avait dit en s’accusant. Je vois d’ici le bon homme de confesseur pâmé de rire le premier de cette aventure. Nous vous mandons souvent des folies ; mais nous ne pouvons payer celle-là. Je vous parle toujours de notre Bretagne, c’est pour vous donner la confiance de me parler de Provence ; c’est un pays auquel je m’intéresse plus qu’à nul autre : le voyage que j’y ai fait m’empêche de pouvoir m’ennuyer de tout ce que vous me dites, parce que je connais tout et comprends tout le mieux du monde. Je n’ai pas oublié la beauté de vos hivers ; nous en avons un admirable : je me promène tous les jours, et je fais quasi un nouveau parc autour de ces grandes places du bout du mail ; j’y fais planter quatre rangs d’allées, ce sera une très-belle chose : tout cet endroit est uni et défriché.

Je partirai, malgré tous ces charmes, dans le mois de février ; les affaires de l’abbé le pressent encore plus que les vôtres, c’est ce qui m’a empêchée de penser à offrir notre maison à mademoiselle de Méri : elle s’en plaint à bien du monde ; je ne comprends point le sujet qu’elle en a. Le Bien bon est transporté de vos lettres ; je lui montre souvent les choses qui lui conviennent : il vous remercie de tout ce que vous dites des Essais de morale ; il en a’été ravi. Nous avons toujours la petite personne ; c’est un petit esprit vif et tout battant neuf, que nous prenons plaisir d’éclairer ; elle est dans une parfaite ignorance ; nous nous faisons un jeu de la défricher généralement sur tout : quatre mots de ce grand univers, des empires, des pays, des rois, des religions, des guerres, des astres, de la carte ; ce chaos est plaisant à débrouiller grossièrement dans une petite tête, qui n’a jamais vu ni ville, ni rivière, et qui